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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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1er décembre 1855

Guernesey, 1er décembre 1855, samedi après-midi, 1 h. ¼

Cher adoré, mon esprit est autant à court de style que mon cœur est abondant en amour. Je ne sais que t’écrire avec la plume mais ma bouche ne suffirait pas à te traduire en baisers toutes les tendresses de mon âme. Je suis bête MAIS je t’adore. Tu le sais de reste. Aussi je trouve qu’il est presque puéril à moi de l’annoncer comme une nouvelle. À propos de nouvelles, j’en ai enfin reçu de Julie [1] avec mes deux quittances de loyer. J’en ai reçu aussi de Mme Luthereau, lesquelles, par parenthèsesb me coûtent plus qu’elles ne valent. Exceptées quelques tendresses plus ou moins convenues de la part de ces deux commères, jeune et vieille, les deux lettres ne contenaient rien de bien intéressant. Je mets à part la mort prématurée de la pauvre petite Charlotte Pradier laquelle vient de mourir à 21 ans des suites d’une fièvre typhoïde. Il paraît que la pauvre enfant était mariée car Julie en parle comme d’une jeune femme. Je ne sais pas quels sont les êtres qui la pleurent sur la terre, mais ce dont je suis sûre c’est que sa pauvre âme aura été introduite auprès du bon Dieu par sa sœur radieuse et bien-aimée. Je n’ai pas pu m’empêcher de pleurer en pensant à ces deux destinées si pareilles devant la mort. Pauvres chers anges, il n’y a pas encore dix ans qu’elles m’appelaient leur mère toutes les deux au milieu des baisers et des rires, des tutoiements respectueux et des vous familiers dans lesquelsc s’empêtrait la tendresse naïve de la pauvre petite Charlotte. Quand je pense à tous ces doux êtres si tôt envolés, je trouve que je m’attarde bien longtemps devant mon amour. Encore si je pouvais supposer que je te suis nécessaire… Mais ta bonté a beau faire, il m’est impossible de me faire sérieusement illusion à ce sujet. Je t’aime, mais quel service mon amour peut-il te rendre maintenant ? Je sais ce que je dis, mon pauvre adoré, tout en reconnaissant ce qu’il y a de généreux et de sublime dans ta conduite envers moi. Je respecte la volonté de Dieu qui t’impose ma vie si longtemps, mais j’envie le sort de nos deux anges emportant leur jeunesse au ciel.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16376, f. 382-383
Transcription de Magali Vaugier assistée de Guy Rosa
[Souchon]

a) « reçu ».
b) « parenthèse ».
c) « lesquelles ».

Notes

[1Julie Rivière s’occupe des affaires de Juliette à Paris.

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