Guernesey, 13 avril 1862, dimanche, 7 h. ½ du m[atin]
Bonjour, beau jour, bonheur et joie sur la terre et dans le ciel et dans mon cœur si tu as bien dormi toute la nuit et si tu te portes tout à fait bien ce matin. J’espère que ton dîner ne t’aura pas fait mal ni la quantité d’eau rougie que tu as bue hier avant d’aller te coucher. Cependant tu n’avais pas la fièvre à en juger d’après tes mains et la gaîté de ton esprit. Je ne veux pas m’inquiéter, mon adoré bien-aimé, pourtant je ne serai tranquille tout à fait que lorsque je t’aurai vu en bon état ce matin. En attendant, je prêche d’exemple en dormant comme un sabot et en me portant comme un Turc.
Quelle ravissante et profonde lettre ton fils Charles t’a écrite à propos des Misérables ! Comme on y sent l’émotion et la tendresse du fils en même temps que la vénération et l’admiration du penseur. Quel dommage qu’il n’ait pas la volonté comme il a le cœur et l’esprit. Il serait déjà depuis longtemps revenu auprès de toi ou plutôt il ne t’aurait jamais quitté. Il faudra bien qu’il revienne et bientôt car le cœur triomphe de toutes les faiblesses qui ne sont pas de son domaine. Alors quelle fête, quel bonheur ! Je m’y associe d’avance de toute mon âme.
BnF, Mss, NAF 16383, f. 92
Transcription d’Isabelle Korda assistée de Florence Naugrette