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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 12 janvier 1855, vendredi après-midi 2 h. ½

Cela vous étonne, mon cher petit Pécopin [1], que je sois toujours surprise de vos accès de jeunesse et de beauté et que j’en sois tourmentée à cause de leurs conséquences inévitables sur le beau sexe de Jersey ? C’est pourtant tout naturel car je sais, de reste, que tout ce luxe physiquea n’est pas pour moi, ni à avantage si on le compare à mes vieilleries. Et puis, ces visites assidues à la ville par tous les temps, mais aux mêmes heures et sous tous les prétextes, tout cela me paraît moins innocent que la probité de vos fournisseurs, lesquels pourtant poussent la délicatesse jusqu’à vous faire payer deux fois le même objet. Enfin, je trouve un si grand air de famille entre Sinatt [2] et Chaumontel, carabinier de Charles (qui n’est pas amusant) et Gruchy que je commence à croire que ces deux aimables personnalités de la mystification et de la cornification ont fait des petits dans cette île fertile et jersiaise. Cela du reste n’est pas défendu par les lois du pays et par conséquent vous ne seriez en contravention qu’envers moi, ce qui n’entraîne que la mort. Il faudrait n’avoir pas de vie dans sa poche pour se refuser ce léger plaisir. Aussi je me doute que ce n’est pas cette mince considération qui vous empêcherait de vous risquer dans ces folâtreries à double fond si vous en avez envie. Il ne me reste donc qu’à m’en assurer, ce que je ferai très certainement à la prochaine occasion. D’ici là, j’ai la loyauté de vous en prévenir à l’exemple des maris de l’Antiquité qui envoyaient prévenir leur femme de leur retour. La précaution, pour n’être pas aussi matrimoniale, n’en est pas moins délicate de ma part, j’espère que vous me rendrez cette justice. En attendant, je souffle dans mes doigts sans pouvoir les réchauffer, comme je souffle sur votre cœur sans pouvoir le rallumer et sur le mien sans pouvoir l’éteindre. Tous ces souffles prouvent que j’ai l’haleine longue et la confiance courte, ce qui ne m’empêche pas de vous aimer, au contraire.

BnF, Mss, NAF 16376, f. 24-25
Transcription de Magali Vaugier assistée de Guy Rosa

Notes

[1Pécopin avait un talisman qui lui permettait de rester éternellement jeune tant qu’il ne s’en séparait pas. Hugo rapporte cette légende germanique dans Le Rhin.

[2À élucider.

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