23, samedi matin, 11 h. ¼
Bonjour mon cher petit bien-aimé, bonjour ma joie, comment vas-tu, comment vont tes chers yeux ? Penses-tua un peu à moi et m’aimes-tu ? Moi, cela va sans dire puisque je ne fais que ça depuis le matin jusqu’au soir et même que j’en déraisonne. Jour Toto, je t’aime. Je commence à croire que tu avais raison hier quand tu te plaignais de mes plumes. Il est impossible d’avoir de plus mauvais becs. Moi qui écris SI BIEN ordinairement et avec toute espèce d’instrument, je ne peux pas en venir à bout ce matin. Et si mon RAMAGE ressemble à mon PLUMAGE je dois être fièrement bête et ennuyeuseb même sans être un PHÉNIX [1]. Je suis très fâchée de n’avoir pas vu CRECE BORGIA [2] hier. Si on la redonne aujourd’hui, je te prierai bien de m’y mener. Il y a si longtemps que je n’ai vu mes belles pièces que j’en suis affamée comme une pauvre gourmande que je suis. Je voudrais toujours te voir, toujours t’entendre et toujours voir jouer tes admirables pièces. Voilà mon genre à moi et je le trouve très bon. Aussi si on vous JOUE quelque part ce soir, ne soyez pas étonné si je vous prie et si je vous suppliec de m’y mener. Bonjour papa. Je vous aime, j’ai rêvé de Didine et de vous toute la nuit et je vous adore. Baisez-moi, aimez-moi et venez tout de suite. Je vous aime de toutes mes forces et de toute mon âme, moi.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16337, f. 295-296
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Florence Naugrette
a) « pense-tu ».
b) « ennuieuse ».
c) « suplie ».