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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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5 mars 1839

5 mars [1839], mardi matin, 11 h. ¼

Bonjour, mon cher petit homme, bonjour, mon pauvre bien-aimé. Comment vas-tu, comment vont tes yeux ? Je ne ris plus, mon amour, car je sens que tu travailles outre mesure. Aussi ma déception de cette nuit est empreinte d’une vraie inquiétude, je tremble que les forces ne te trahissent. Et dans ce cas, qu’est-ce que je deviendrais ? J’ai déjà beaucoup de peine à m’habituer à ne te voir que quelques instants tous les jours mais s’il me fallait renoncer à te voir plusieurs jours, te sachant malade, je perdrais la tête. C’est avec cette crainte et l’amour sur les lèvres que je te suppliea, mon adoré, de ne pas tant travailler surtout la nuit. Je t’aime, je n’ai pas l’occasion de te le prouver souvent mais je t’aime de toute mon âme. Jour mon Toto. Ne souffrez pas et aimez-moi si vous pouvez car vous ne ferez que me rendre en petit ce que je vous donne en très grand.
Quand m’apportez-vous le fameux SAUVAGE A CIVILISER [1] ? Je suis toute prête et je me flatte que lorsqu’il rentrera dans le monde dont il est le plus bel ornement, il n’y aura qu’un cri avec le sien sur son excellent ton et ses bonnes manières. En attendant je vous baise et je vous aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16337, f. 227-228
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Florence Naugrette

a) « suplie ».


5 mars [1839], mardi soir, 7 h. ½

Je vous écris en compagnie des petites Besancenot qui poussent des « hélas » sur votre départ précipité. Elles ne sont pas les seules et je connais une vieille Juju qui ne donne pas sa part au chien. Pauvre bien-aimé, sans doute je suis triste quand je pense à tes nuits sans sommeil, à tes pauvres yeux adorés malades, aux turpitudes du théâtre de la Renaissance. Je ne peux pas m’empêcher de soupirer et de souffrir. Encore, si je pouvais veiller avec toi et te soigner, je serais moins malheureuse et moins tourmentée, mais tu sais bien qu’il n’en est pas ainsi. Je t’aime, mon Toto, je t’aime de toute mon âme, n’en doute jamais si tu ne veux pas blasphémer. Vous devriez bien, mon amour, tâcher de venir souper ce soir chez moi, je seraisa bien heureuse et plus triste du tout. Vos petites péronnelles [2] s’en donnent à crier, à chanter, et à refaire votre analyse des Pilulesb du diable [3]. L’homme qui a la colique et qui demande un petit pot de chambre sur la scène leur paraît d’un comique raffinéc et exquis. Quantd à moi, ce que j’aime le mieux jusqu’à présent, c’est VOUS. Il est vrai d’ajouter que c’est un amour malheureux car il n’est pas partagé. N’est-ce pas que c’est vrai ? Que je vous voie dire « oui », je vous donnerai de fameuses giffese. Venez ici que je vous baise, vilain, quoique vous emportiez l’eau de Portugal et que je vous déteste.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16337, f. 229-230
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Florence Naugrette

a) « serai ».
b) « pillulles ».
c) « rafiné ».
d) « Quand ».
e) « giffe ».

Notes

[1Juliette attend que Victor Hugo lui apporte un oiseau.

[2En l’occurrence, les petites Besancenot.

[3Les Pilules du diable : Féerie en 3 actes et 20 tableaux d’Anicet-Bourgeois, Laloue et Laurent, créée au Cirque Olympique le 16 février 1839. L’épisode évoqué par Juliette intervient dans le 5e tableau de la féerie, où les personnages, assoiffés, se ruent dans la boutique d’un marchand de vin qui, sous l’action de la Folie, se change en boutique d’apothicaire. Le vin, devenu drogue, leur procure de « singuliers symptômes » et fournit la matière à de désopilants jeux de scène. Cet épisode avait déjà fait le succès d’une pantomime de Laurent, Le Bœuf enragé, jouée au Théâtre des Funambules en 1827. [Remerciements à Roxane Martin pour l’établissement de cette note].

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