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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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23 décembre [1844], lundi matin, 11 h. ¾

Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour mon petit homme chéri, comment vas-tu toi ? Quant à moi je suis furieuse de ce qui m’arrive et peut-être le seras-tu aussi si, comme je le crains, tu vas au-devant de moi à Saint-Mandé [1] avant de venir à la maison. Voilà ce qui m’est arrivé cette nuit après que tu as été parti : mon pied me faisait très mal et je ne prévoyais pas comment je pourrais me chausser aujourd’hui. J’ai pensé qu’en le coupant un peu avec le canif cela me soulagerait. Mais à peine me suis-je serviea de ce hideux petit instrument que mon pied a saigné et que je n’ai pas pu dormir de toute la nuit tant j’ai souffert. Impossible ce matin de mettre mon pied par terre. Eulalie vient d’aller me chercher un certain onguent merveilleux qui doit me guérir d’ici à demain et je resterai au lit toute la journée. Tout cela n’est pas autrement contrariant s’il n’y avait pour moi l’inquiétude de penser que tu peux aller au-devant de moi et m’attendre, même, me croyant chez Mme Marre. Si tu es bien inspiré tu viendras auparavant à la maison. En attendant je serai la plus contrariée et la plus tourmentée des femmes. Je voudrais bien encore aller avec toi aux Tuileries. Peut-être ne seras-tu pas retenu par le roi aussi longtemps que d’habitude. Et enfin si peu que ce soit que je te vois dans le trajet d’ici là cela vaut toujours mieux que rien. C’est convenu, j’irai. Mon pied ira suffisamment bien d’après les on dit de cet onguent mirobolant pour pouvoir mettre une pantoufleb ce soir et c’est tout ce qu’il faut pour aller en voiture. En attendant je t’aime de toute mon âme et je me tourmente de toutes mes forces.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16357, f. 183-184
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette

a) « servi ».
b) « pantouffle ».


23 décembre [1844], lundi soir, 6 h.

J’espère que tu ne seras pas allé à Saint-Mandé, mon Toto chéri, car tu en serais déjà probablement revenu ? Depuis tantôt je vis dans cette ennuyeusea inquiétude ; mais, voyant l’heure assez avancée, je commence à croire que je me suis tourmentée inutilement et j’en suis bien aise. Du reste Eulalie n’était pas allée me chercher d’onguent comme je le croyais parce que ce précieux spécifique demeure rue Sainte-Marguerite [2] au faubourg Saint-Germain et qu’elle voulait déjeuner avant de se mettre en route. Moi j’avais compris que c’était rue Culture Sainte Catherine [3] et je pensais qu’elle y était allée pendant que je t’écrivais ce matin. De tout ce quiproquo il est résulté que je n’ai pas voulu faire perdre une journée à Eulalie pour de l’onguent plus ou moins MITON MITAINE et que je me suis appliquéb à la place ce cataplasme de mie de pain et de laudanum. Ceci, et le repos forcé de toute la journée, m’a beaucoup soulagée. Et demain, si tu n’as pas changé d’avis, je ferai ma visite à Mme Marre. Ce mot, visite, me fait souvenir que j’ai reçu tout à l’heure celle du fils Triger qui venait de la part de Desmousseauxc pour offrir des places pour sa représentation à bénéfice qui aura lieu demain. J’ai pris sur moi de refuser ne prévoyant pas que tu puissesd désirer y assister. Si j’ai mal fait c’était dans une bonne intention et tu m’embrasseras tout de même, j’en suis sûre. Pour cela il faut que tu viennes. Hélas ! Je crains que mon courage et ma résignation ne soient encore mis à une rude épreuve aujourd’hui. Enfin, mon Victor adoré, tu sais que mon amour s’accroît encore, si c’est possible, de toutes les souffrances que notre position m’inflige. En t’attendant je te baise et je t’adore de toutes mes pensées de tous mes désirs et de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16357, f. 185-186
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette

a) « ennuieuse ».
b) « appliquée ».
c) « Démousseaux ».
d) « puisse ».

Notes

[1Juliette doit se rendre à Saint-Mandé pour voir sa fille Claire et rencontrer Mme Marre, directrice de la pension où réside Claire.

[2La rue Sainte Marguerite est une ancienne voie du quartier Saint-Germain des prés qui aboutissait près de l’église abbatiale.

[3La rue de la Culture-Sainte Catherine ou de la Couture-Sainte-Catherine se situait dans le quartier du Marais. C’est aujourd’hui la rue de Sévigné.

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