22 décembre [1844], dimanche soir, 11 h.
Tu es bien gentil, mon Toto chéri, d’être venu ce soir deux fois. Mais tu l’aurais été encore bien davantage si tu étais resté plus longtemps et surtout si tu étais venu pendant que j’étais seule. Mais en somme je suis très heureuse des trois minutes que tu m’as données et je les ai savourées malgré la présence de ces trois jeunes demoiselles. Maintenant que je suis seule vous vous donnez bien de garde de venir. Taisez-vous, vous êtes une bête. Je ne vous donnerai pas vos Étrennes. Je serais très fâchée mon Victor adoré si M. P… [1] t’a fait faire une démarche inconvenante. J’en serai d’autant plus fâchée que ce sera moi qui t’en aurai prié. Vraiment ce serait bien mal à lui de me faire servir à de mauvaises choses et je crois que je ne lui pardonnerais pas si cela était. Attendons que cela s’éclaircisse davantage. Il serait très possible à la rigueur que le Paillard [2] fûta l’avocat de la Dame2. Et qu’il ne fûta pas fâché chemin faisant de jeter une nouvelle honte de plus sur le mari. Nous verrons du reste après-demain ce qui résultera de ce scandaleux procès.
En attendant mon cher bien-aimé, aimons-nous, soyons-nous bien fidèles, donnons l’exemple à tous ces gens-là d’un amour devenu saint et sacré à force de loyauté et de dévouement. Et puis plaignons-les tous tant qu’ils sont, les trompeurs et les trompés, car au fond de toutes ces turpitudes il y a bien des larmes et bien des désespoirs.
Je baise tes pieds mon adoré et je t’aime de toute mon âme.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16357, f. 181-182
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette
[Siler]
a) « fut ».