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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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12 mars 1849

12 mars [1849], lundi matin, 8 h.

Bonjour, mon cher petit homme, bonjour, comment va ton rhume ? J’espère que tu ne te seras pas couché trop tard hier et que tu auras eu la précaution d’avoir très chaud aux pieds, ce qui aura pu enrayer ton rhume ? En attendant que je sache comment tu vas, je t’aime de toutes les façons et de toutes mes forces. Je voudrais déjà avoir vu le père Triger pour savoir à quoi m’en tenir sur mon mal de pied. Tout ce que je sais, c’est que je souffre horriblement et que, malgré mon désir ardent de t’accompagner tous les jours, et aujourd’hui d’autant plus qu’il y a huit jours que je suis sevrée de ce bonheur, il m’est impossible de songer seulement à me chauffer tant mon pied me fait mal [1]. J’attends M. Triger avec une impatience égale au désir que j’ai de sortir avec toi. C’est que je n’ai que ce moment-là pour te voir car les pauvres petites apparitions que tu fais le soir et le tantôt ne servent qu’à rendre ton absence encore plus sensible en me montrant le bonheur que je n’ai pas le temps de recueillir. Mon Toto adoré, je t’aime, je voudrais être sûre que tu ne souffres pas pour me faire trouver le temps moins long d’ici à tantôt. En attendant, je pense à toi, je repasse le moindre de tes mouvements dans ma mémoire, je me souviens des plus petits mots que tu as laissésa tomber et je souris à ton noble et radieux visage qui m’éblouit et qui me ravit.

Juliette

MVHP, MS a8161
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

a) « laissé ».


12 mars [1849], lundi après-midi, 3 h.

Je vous ai suivi des yeux jusqu’à la rue de la Tour d’Auvergne, mon amour, et vous n’avez pas tourné la tête une seule fois. Comment voulez-vous que je me fasse illusion après cela et que je me croie bien aimée ? En attendant, vous abusez de mon infirmité pour me voir le moins possible mais moi je vais me faire faire toutes les opérations nécessaires pour être plus vite guérie afin de courir après vous et de ne plus vous quitter, quelque temps qu’il fasse et quelque grimace que vous fassiez. Je suis résolue à tout tenter pour arriver à me guérir plus vite. Quelle bête de femme je fais avec mon pied ! Dieu sait pourtant que cela ne m’amuse pas et que je ne manque pas d’un certain courage mais il m’est impossible d’essayer même de me chausser. C’est devenu une véritable torture. Aussi, je veux tâcher d’en finir une bonne fois avec cet affreux pied. C’est un parti pris. À la faveur de cette consultation, le père Triger m’a remis des papiers concernant un orphelin pour Petit-Bourg [2]. Je lui ai dit tout de suite que la chose me paraissait peu faisable. Tu verras toi-même jusqu’à quel point j’ai eu raison de lui donner peu d’espoir à ce sujet. Maintenant que j’ai bien gémi et bien grognéa sur votre indifférence et sur mon pied, laissez-moi vous prier de venir me consoler ce soir et vous baiser sur les deux yeux et ailleurs.

Juliette

MVHP, MS a8162
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

a) « grogner ».

Notes

[1Juliette souffre d’une crise de goutte depuis plusieurs jours.

[2La « Société de Petit-Bourg » est une œuvre philanthropique en faveur des enfants pauvres et des jeunes délinquants. Victor Hugo en est devenu le président le 28 mai 1848.

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