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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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28 novembre [1844], jeudi matin, 11 h. ½

Bonjour mon petit bien-aimé, bonjour mon beau, mon ravissant petit Toto, bonjour. Je voudrais trouver une manière nouvelle de te dire mon amour mais je n’en connais pas. Je ne puis donc que te répéter avec les mêmes mots le même sentiment exclusif, ardent admiratif et passionné que j’éprouve depuis bientôt douze ans. Mais si je n’ai qu’une seule manière d’exprimer mon amour j’en ai mille de le sentir toutes plus tendres et plus douces les unes que les autres. D’une heure à l’autre je trouve des millions de raisons pour t’aimer davantage. Tu vois que mon amour pour être monotone, n’est pas routinier. Seulement, je te le répète, je n’ai qu’une façon de te le dire : mon Toto je t’aime. C’est simple comme la tragédie d’ Antony Deschamps [1]. Jour, mon cher petit Toto. Bonjour mon bien-aimé adoré, bonjour toi, bonjour vous. Il fait un froid de loup. Je reste au lit pour économiser mon bois, ce qui me donne un air de paresse immodérée. À propos on dirait que les penaillons se donnent le mot pour m’apporter de la toile peinte. Celle de la rue du Roi Doré vient d’en apporter 40 mètres ce matin à 25 sous. Je t’assure qu’elle est fort belle et infiniment préférable à l’autre qui déjà était un excellent marché. Au reste tu feras ce que tu voudras. Tu ne peux vouloir que ce qui est juste et bien. Je m’en rapporte à toi et je serai toujours contente et heureuse pourvu que tu m’aimes et que tu n’aimes que moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16357, f. 101-102
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette


28 novembre [1844], jeudi soir, 6 h.

Je t’attends, mon petit bien-aimé, tu vas venir, je l’espère. Tu ne peux compter pour une fois l’espèce d’apparition que tu as faite tantôt ? Tu es sans doute allé à l’Académie ? Cette vieille sempiternellea est plus heureuse que moi. Vous êtes d’une exactitude et d’un empressement pour cette vieille radoteuse dont rien n’approche. Taisez-vous ! Je vous dis que vous ne savez pas ce qui est bon puisque vous me négligez et que vous me plantez là pour reverdir. Taisez-vous ! Je me suis déjà parée, sinon emparée de votre chaîne. J’y ai suspendu votre ravissant petit médaillon qui fait très bien à mon cou. Il n’y a que vous qui pourriez faire mieux à la même place : — porte-moi car tu l’as le plus beau et le plus doux collier celui que je n’ai pas, qui manque au rang suprême, les deux bras d’un Toto aimé et qui vous aime [2]. Moi je ne l’ai pas non plus ce collier là, quoique je ne sois pas au rang suprême. Je n’ai qu’une CHAÎNE comme un pauvre chien de basse-cour c’est assez bon pour moi. Voime, voime viens-y pô lisson et tu verras de quel gourdin je me chauffe. En attendant, je vous attends, vous attendrai-je encore longtemps ? Dépêchez-vous donc de venir, cher petit bien-aimé, vous savez bien que je vous AIME et que je n’ai de joie qu’en vous.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16357, f. 103-104
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette

a) « simpiternelle »

Notes

[1On ne sait à quelle tragédie du traducteur de Shakespeare Juliette fait ici allusion.

[2Citation d’Hernani. Don Carlos, donnant sa Toison d’Or à Hernani, dit : « Mais tu l’as le plus doux et le plus beau collier, / Celui que je n’ai pas, qui manque au rang suprême, / Les deux bras d’une femme aimée et qui vous aime. »

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