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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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6 novembre [1844], mercredi matin, 10 h. ¼

Bonjour, mon bon petit bien-aimé, bonjour, mon adoré Toto, comment vas-tu ce matin ? Si d’être bon comme un ange et d’être aimé comme un Dieu peut donner le bonheur et la santé, tu dois être bien heureux et bien portant ce matin, car tu as été essentiellement bien doux et charmant cette nuit et je t’aime de toute mon âme. Ô oui je t’aime, mon Victor béni, sois en bien sûr. Le jour où tu ne m’aimeras plus je mourrai sois en bien sûr aussi ! Je te trouve beau, jeune charmant et adorable comme le premier jour où je t’ai vu. Depuis bientôt douze ans mon amour n’a pas faibli d’une seconde. Au contraire il a été toujours en augmentant. Plus je t’aimais et plus je t’aime. Plus je t’admirais et plus je t’admire. Sois heureux, mon Victor, sois grand, sois admiré, bien aimé de tout ce qui a de l’intelligence et du cœur dans ce monde, mais à moi seule est réservé de t’aimer d’un amour sans borne et sans fin. Je tâcherai d’être bien courageuse aujourd’hui et toujours. Je me dirai que tu travailles, pauvre ange, et je sais combien tu es entouré et préoccupéa de toute part et de toute chose. D’ailleurs tes bonnes et douces paroles de cette nuit m’ont rassurée, je ne suis plus jalouse ce matin… presque plus jalouse. Je te crois incapable de me trahir [1]. Et puis tu n’es pas un homme comme les autres hommes, toi. Ce n’est pas seulement une femme, une jeune et jolie femme qu’il te faut, c’est un cœur tout à toi, une âme toute d’amour. Quelle est la femme qui pourrait lutter avec moi ? Je n’en crains aucune. Aussi, mon Victor bien aimé, je suis bien tranquille aujourd’hui et j’espère que je serai bien patiente et bien résignée. De ton côté, mon cher amour, tâche de venir le plus vite que tu pourras tu me rendras la femme la plus heureuse de l’univers. En attendant je baise tes divines petites mains et tes ravissants petits pieds. J’ai le cœur gonflé d’amour de reconnaissance et d’admiration. Tu es mon Victor toujours plus aimé, plus noble et plus grand.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16357, f. 21-22
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette

a) « préocupé ».


6 novembre [1844], mercredi soir, 5 h. ½

Je t’aime mon Victor. Je t’attends, mon bien-aimé, j’ai été courageuse il faut m’en récompenser en venant tout de suite. Je voudrais savoir si c’est ce soir que tu dois me conduire acheter ton parapluie pour m’apprêter à l’avance. J’ai envoyé chez Lambin chercher des gants noirs pour ma fille. On m’en a apporté en effet qui étaienta à sa main, c’est-à-dire à la tienne, mais ce hideux marchand ayant voulu abuser de la circonstance pour les augmenter de cinq sous je n’ai pas voulu les prendre. Tu verras si tu les veux, quant à moi j’ai été si mécontente que j’aimerais mieux m’en passer que de donner gain de cause à cette mauvaise foi rapace. Tu décideras la question ce soir et tu verras s’il n’y aurait pas décidément plus de profit à t’en acheter tout bonnement chez eux à ta vraie main.
Jour Toto, jour mon cher petit o. Je voudrais bien vous baiser, cela me mettrait joliment du baumeb dans le cœur. Où es-tu mon Toto pour que j’aille te chercher ? Hum ! Si je le pouvais ça serait bien vite fait. Malheureusement je suis prisonnière sur parole, c’est-à-dire la plus verrouillée, la plus cadenassée et la plus enchaînée des femmes. Une autre foisc je ne ferai pas de ces marchés-là, j’y perds trop.
Encore und autre marché absurde et pour lequel vous ne sauriez trop m’indemniser, c’est la lecture de votre Joséphine Turlututu [2], le nom m’échappe, rien que d’y penser j’en ai la migraine. Mais je t’épargne une peine. Cette pensée rachètee tout et je relirai ce livre avec fureur. En attendant je voudrais bien te voir. Tâche donc d’envoyer tes occupations se promener un peu aux Champs-Élysées et viens bien vite m’embrasser. Je serai bien heureuse, et bien contente, et bien joyeuse si tu viens, entends-tu mon cher petit Toto ?

Juliette

BnF, Mss, NAF 16357, f. 23-24
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette

a) « était ».
b) « beaume ».
c) « autrefois ».
d) « une ».
e) « rachète ».

Notes

[1Les soupçons de Juliette sont pourtant justifiés : Hugo a pour autre maîtresse Léonie Biard.

[2Joséphine Turlututu peut être identifiée dans la lettre du 11 novembre 1844. Il s’agit de Joséphine Mallet, auteur d’un ouvrage écrit « dans un but de moralisation » intitulé Les Femmes en Prison. Causes de leurs chûtes, Moyens de les relever, publié à Moulins en 1843 et dédié à Son Altesse Royale Madame la Princesse Adélaïde d’Orléans.

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