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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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BnF, Mss, NAF 16322, f. 259-260 / 15 février ?

Samedi matin
[15 février 1834 ?]

Il est une heure moins ¼, je suis alléea à votre imprimerie aux nos 16 et 19 [1], on ne vous y avait pas vu. Je suis allée chez vous, vous n’étiez pas rentré – Je vous ai écrit un mot – Je vous ai attendu – Enfin, je suis revenueb chez moi, espérant vous y trouver. Vous n’y étiez même pas venu. Je vous remercie – de m’avoir fait jouer inutilement le rôle d’un chien –
Vous m’aviez cependant dit que vous alliez à l’imprimerie, que vous iriez chez vous peut-être – mais bien sûr chez moi –
Vous avez bien vite oubliéc vos promesses – et vous faites bien peu de cas de mon amour – Si à l’heure où je vous écris vous pouviez me voir dans vos songes, vous seriez épouvanté, tout indifférent que vous êtes – du mal que me font votre injustice et vos mépris –
Il est bien évident que vous ne m’aimez plus – et que vous ne tenez à moi que par la crainte de causer un grand malheur en vous éloignant. Il est bien triste que ce soit le seul sentiment qui vous attache à moi – et je ne dois pas souffrir un dévouement inutile et humiliant –
Je vous rends votre liberté – Dès ce moment, vous êtes dégagé envers moi de toute responsabilité, quoique mon cœur soit déchiré, quoiqu’il y aitd au fond de mon âme plus d’amour qu’elle n’en peut contenir – quoique mes yeux en vous écrivant laissente couler des pleurs bien amersf – je n’en aurai pas moins l’énergie nécessaire pour supporter ma vie telle qu’elle sera, sans bonheur et sans amour –
Vous avez été bien cruel envers moi – Je vous pardonne – Pardonnez-moi aussi mes emportements. J’en suis bien humiliée – et bien malheureuse – Je vous affirme sur tout ce que j’ai de plus cher et de plus sacré, sur ma fille – que je ne comprends pas comment j’ai fait hier pour faire une chose que je désavoue dans tous les temps et qui me semble le comble de l’effronterie. Je vous jure que je n’ai jamais vu ces hommes – Enfin, je suis tout à fait innocente du crime de mes yeux. Je ne peux rien vous dire de plus. Vous m’avez flétri le cœur – en me rappelant ma vie passée et au moment de vous écrireg des paroles d’amour et de regret – à la possibilité d’une réconciliation – je pense avec effroi que vous me soupçonnez encore injustement – mon cœur s’effraie du mal que vous lui préparez, et ma plume s’arrête.
Adieu, soyez plus tranquille et plus heureux que moi. N’oubliez pas que nous avons été, un an tout entier [2], heureux de notre seul amour.
Adieu, je suis plus qu’assez punie de mon prétendu crime d’hier.
Adieu, pensez à moi sans amertume.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16322, f. 259-260-139-140
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
[Guimbaud, Massin]

a) « allé ».
b) « revenu ».
c) « oubliez ».
d) « est ».
e) « laisse ».
f) « amères ».
g) La croix à la fin du f. 260 trouve son équivalent en tête du f. 139, mal classé.

Notes

[1L’imprimeur de Victor Hugo était alors M. A. Éverat, considéré comme le plus grand imprimeur de Paris (Revue de Paris, 1834, tome VI). L’imprimerie était située au no 16, rue du Cadran à Paris. Cela explique peut-être l’indication de Juliette. En revanche, le no 19 reste à élucider.

[2Il semblerait que cette lettre ait été écrite une année après le début de la relation amoureuse de Victor Hugo et Juliette Drouet, ce qui nous fait dater la lettre du samedi 15 février 1834.

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