23 septembre 1844

23 septembre [1844], lundi soir, 8 h.

Je te remercie, mon cher bien-aimé, de tes conseils, je te remercie de l’intérêt que tu portes à ma pauvre péronnelle [1] et je te remercie sur tout du fond de l’âme de te laisser aimer par moi. Car, sans mon amour, je dis le mien, je ne pourrais pas vivre et je mourrais si tu ne m’aimais pas. Je sens que je m’explique de façon à n’être comprise de personne, pas même de toi, et, cependant, ce que j’éprouve est bien profond, bien ineffable et bien tendre, et bien passionné. Il me serait bien plus facile de donner ma vie pour toi que de te dire combien je t’aime. Chaque fois que j’essaye de le faire, j’en suis pour ma peine et pour un petit ridicule de plus. Heureusement que tu n’y fais pas attention et que tu sais aussi bien que moi que tu es ma vie et ma joie. Plus je vais en avant et plus cela est ainsi. Il me serait impossible de supporter la vie sans toi. Tu le sais bien, n’est-ce pas mon Victor adoré ?
Que tu es bon, mon Toto chéri, je ne saurais jamais te le dire autant que je le pense, d’être venu savoir le résultat de ma démarche auprès de M^me Marre. Pauvre ange adoré, il n’y a que toi au monde capable d’un pareil dévouement. Ô, va, je le sens bien mieux que je ne l’exprime. Il va falloir que j’aie, tout à l’heure, une conversation avec Claire au sujet de tout ce que tu sais. Il m’en coûte un peu, je l’avoue, quoique je n’aie pas précisément des choses graves à lui reprocher. Mais c’est toujours pénible de sermonner une jeune fille de dix-huit ans pour des choses dont la raison aurait dû la débarrasser depuis longtemps. Enfin, il le faut et je le ferai. Pour m’y encourager, je pense à toi et je t’aime de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16356, f. 179-180
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette