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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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21 mai 1837

21 mai [1837], dimanche matin, 10 h.

Qu’est-ce que je me donnai l’année passée pour ma fête ? Je me donnai, si j’ai bonne mémoire, beaucoup d’amour pour un certain Toto de mes amis. Et comme ceci m’a beaucoup profité, je vais, si vous le voulez, m’offrir le même bouquet aujourd’hui. Je commence donc par une intarissablea feuille de papier sur laquelle je verserai le plus que je pourrai de mon cœur. Jour mon To. J’ai reçu une bonne lettre de cette pauvre Mlle Watteville. Une lettre bien charmante et bien triste. J’aurais voulu avoir la vôtre sinon pour me la faire oublier, du moins pour en effacer la triste impression. Ma Claire m’a apporté sonb petit modeste bouquet. La pauvre petite est un peu souffrante mais j’espère que ce ne sera rien. Je me suis réveillée ce matin à l’heure où vous avez l’habitude de venir quand vous venez, mais j’en ai été pour mes frais d’éveillement et pour des battements de cœur inutiles. Si vous saviez combien j’ai besoin de vous pour vivre et pour être heureuse, mon cher adoré, vous ne me feriez pas si souvent compter des heures solitaires. Ce n’est pas aujourd’hui mon cher petit homme que je voudrais me plaindre et encore moins vous gronder. Aujourd’hui où je suis censéec avoir des fleurs au côté et du bonheur dans le cœur. Aujourd’hui jour de ma FETE [1]. Ce que je vous dis mon petit homme, c’est de l’amour, pas autre chose. Prenez-le pour ça et aimez-moi un peu en échange. Jour mon To. Jour mon cher petit o.
Le jour s’assombrit déjà. Il paraît qu’il fera très laid tout à l’heure. Tant pis pour cette pauvre Claire qui courtd le risque de rester enfermée avec moi toute la journée sans voir personne, ce qui constitue un maigre dimanche pour une pensionnaire de tous les zages [2]. Je vous aime mon cher bien-aimé. Je vous aime trop pour ce monde-ci. C’est par anticipation car je ne pourrai plus vous aimer davantage dans l’autre. Je vous aime, je vous aime, je vous aime de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16330, f. 197-198
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « intarrissable ».
b) « sont ».
c) « sensé ».
d) « courre ».


21 mai [1837], dimanche, midi ¾

Je vous l’ai déjà dit, mon cher petit Toto, en vous écrivant je me donne à moi-même un bouquet de fête. C’est pour cela que je le fais si large et si gros sans m’inquiéter de vous forcer. Si vous étiez venu ce matin je n’aurais eu rien à désirer, mais vous avez craint de me gâter par trop de bonheur à la fois. Peut-être avez-vous raison. Mais la raison est bien froide et bien aride à qui aime comme je vous aime. Cependant, je me soumets tant bien que mal à ce régime et vous devez être content de moi. Jour mon petit homme chéri. Pensez un peu à moi de loin afin que je sente mon pauvre cœur se réchauffer à ce rayon. Car s’il faut vous l’avouer, j’ai encore plus froid dans l’âme que sur le corps, et je suis plus triste que le temps, ce qui est beaucoup dire.
Je ne compte sur personne aujourd’hui, et si tu peux me donner un billet pour Saint-Antoine [3] j’y enverrai Claire et Suzette ce soir à moins que tu n’aiesa déjà disposé de tes places pour tes petits enfants, auquel cas elle restera avec moi. AMOUREUSEMENT.
Votre lettre n’est pas encore arrivée. On voit bien qu’elle est à votre école, elle se fait désirer et attendre, la méchante qu’elle est. Mais quelle queb soit l’heure à laquelle elle vienne, je vous assure qu’elle sera reçue à cœur ouvert et à bouche que veux-tu.
Il faut cependant que je tâche de renfoncer les grosses larmes qui me roulent dans les yeux, ne fût-cec que pour ma pauvre petite fille qui est si bonne et si charmante. On en est extrêmement content à la pension, et elle m’a demandé de vos nouvelles avec une sollicitude tout à fait aimable et gracieuse. Je l’aime plus encore à cause de cela. Chère petite fille, je vous aime. Et vous mon Toto, pourquoi que je vous aime ? Parce que…voilà. Ce serait trop long et trop difficile à énumérer. Je vous aime parce que je vous aime et je vous promets que c’est un peu fort. Jour mon petit o. Jour méchant. Jour mon cher bien-aimé. Jour gros LION. Jour mon gros TO.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16330, f. 199-200
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « n’es ».
b) « quelque ».
c) « fusse ».

Notes

[1C’est effectivement le 21 mai que l’on fête les « Julie » à l’époque.

[2Juliette aime à insister parfois sur les liaisons, qu’elles soient correctes ou fautives, en ajoutant un « z » au début des mots.

[3Le Théâtre de la Porte-Saint-Antoine où Juliette a refusé un engagement l’année précédente.

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