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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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11 mai 1837

11 mai [1837], jeudi matin, 11 h. ¼

Jour mon cher petit homme. Je vous annonce en quatre temps la pluie, la neige, la grêle et le vent et avec tout cela un rhume de cerveau des plus huppés, ce qui ne contribue pas peu à me faire couler un jour rempli de nuages. Je vous aime, savez-vous cela ? et puis je vous admire pour la belle âme que vous avez. C’est bien grand et bien noble à vous, mon grand Toto, d’avoir élevé votre voix si haute et si puissante en faveur de ce pauvre vieux roi mort [1]. Vous seul aviez ce droit-là car vous seul êtes pur de tous ces vils traficsa de la pensée. Vous seul êtes assez important pour faire écouter votre voix indulgente et religieuse dans ce monde impie et sans pardon. S’il m’était donné de pouvoir vous aimer davantage, ce serait dans ce moment [2]. Mais dès le premier jour où je vous ai vu, je vous ai dans mon cœur, ma pensée et mon âme, sans réserve.
Que je t’aime mon Victor adoré, que je t’aime  ! Dans ce mot si courant et si souvent employé, il y a toute mon âme, toute la fraîcheur d’un amour qui ne s’est épanoui qu’au feu de votre regard. Il y a tout moi. Jour mon petit o. Jour mon gros to. J’espère que vous n’avez plus l’ombre d’un rhume ce matin. C’est bien assez que nous l’ayons chacun MON [TOTO  ?]. Mon petit homme bien-aimé, je vous aime, je vous adore et puis je recommence sans cesse ce petit travail-là sans me lasser. Je voudrais bien qu’il fît assez beau un jour pour vous décider à passer une journée à la campagne avec moi. Malheureusement il n’y a pas beaucoup d’espoir ni d’un côté ni de l’autre.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16330, f. 149-150
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
[Guimbaud]

a) « viles trafiques ».


11 mai [1837], jeudi, midi ¾

Mon petit chéri, je vous écris coup sur coup parce que j’en ai très gros sur le cœur dans le large. Je vous aime de toutes mes forces. Si je pouvais vous en donner des preuves je vous étonnerais vous-même. Un petit exemple seulement voulez-vous ? D’ici à trois jours je trouverai l’argent nécessaire pour faire un très joli petit voyage pas trop court. Je ne garderai que les chemises nécessaires pour faire la route. Je vendrai tout. Je tripoterai [3] tout et nous aurons beaucoup d’argent ! Ça va-t-il, hein ? Rien que d’y penser [illis.] m’en fait venir l’eau à la bouche. QUEL BONHEURa !!! Mais vous êtes Toto dit la raison. C’est-à-dire Toto le froid, Toto le sans amour, Toto l’endormi, Toto le rêveur, Toto le somnambule, Toto enfin qui ne sait pas être heureux en dépit de tous les obstacles. QUEL MALHEURa !!!!! Je vous attends vieux Toto. Je vous aime mon gros To. Venez très vite mon petit homme. Je suis très bonne à baiser, très gentille à croquer et très sâle [4] à manger. Pardon du calembour dont vous êtes l’adresse. Je ne le ferai plus jamais de la vie ni des jours.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16330, f. 151-152
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) Ces deux mots écrits en gros occupent seuls toute la ligne. Les deux lignes (« QUEL BONHEUR !!! » puis, à la page suivante, « QUEL MALHEUR !!!!! ») apparaissent côte à côte, en regard l’une de l’autre, au bas des deux pages intérieures, mettant ainsi en exergue l’effet de contraste ménagé par Juliette.


11 mai [1837], jeudi soir, 8 h. ¾

Non, mon cher petit homme, ce n’est pas l’inexactitude de Mme Pierceau qui m’a donné ce petit nuage de tristesse que vous aviez remarqué et que vous vous êtes plu à augmentera, mais bien le silence plus que peu aimable que vous gardiez vis-à-vis de moi qui redoublais pour vous de gaîté et de tendresse. Enfin vous avez fini, en affectant de prendre le change sur mon humeur, par me rendre véritablement irritable et presque [farouche  ?]. Au reste c’est passé maintenant et je suis à vous de cœur et d’âme plus que jamais. Je vais me coucher très résignée et très décidée à être bien bonne et très aimable envers vous quand vous viendrez. Ayez pour moi la même bonne intention et vous verrez que nous serons très heureux et très gentils. Mme Guérard vient de me quitter il y a un moment après m’avoir confié des petits chagrins domestiques car qui est-ce qui n’en a pas dans ce monde. Avec tout ça, voici une 3ème lettre que je vous écris aujourd’hui. Ce que c’est pourtant que d’être un vieux grimace. On y gagne d’être encore plus aimé, plus cajolé et plus dorlotéb. Quand je vous le disais, il n’y a rien de tel que d’être très méchant et très maussade pour être très aimé.

BnF, Mss, NAF 16330, f. 153-154
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « augmenté ».
b) « dorlotté ».

Notes

[1Juliette fait allusion au poème « Sunt lacrymæ rerum » dont elle réclamait la lecture dans la lettre du 6 mai, et qu’elle a dû avoir sous les yeux entre le 9 et le 10. La datation du poème sur le manuscrit (15 mai) laisse donc à penser que Victor Hugo ne lui a pas fait lire la version définitive, ou que le poème était achevé à la date du 11 mai.

[2Ces lignes sonnent comme une préfiguration des vers qui leur feront écho dans Ruy Blas (répliques de la reine après le « Bon appétit, messieurs ! »).

[3Dans le sens de « gérer des fonds, des biens, une affaire, de manière à en tirer profit ».

[4L’accent circonflexe est volontaire. Il marque une fermeture et un allongement expressifs de la voyelle.

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