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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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20 février [1849], mardi-gras, 11 h. du soir

Je ne veux pas me coucher, mon doux bien-aimé, avant de t’avoir donné mon cœur et mon âme. Toute ma soirée laborieuse s’est passée à penser à toi et à repasser une à une toutes les douces heures de bonheur que tu m’as données pendant seize ans. J’aurais désiré, j’avais espéré que cet anniversaire serait moins solitaire et que tu pourrais me donner une partie de cette soirée, mais le bon Dieu et Robelin en ont décidé autrement. Il faut bien que je me résigne. Je veux que tu mettes à profit l’heureuse distraction qui s’offre à toi, je veux que tu mangesa bien, que ta charmante famille te fasse oublier toutes les fatigues et tous les soucis de la politique. Je veux encore que tu ne m’oublies pas et que tu me regrettes dans le moment où tu te sentiras le plus heureux. Moi, pendant ce temps-là, je vais continuer en rêve l’ardente préoccupationb de ma veille. Bonsoir, cher adoré, bonsoir, pense à notre mardi-gras d’il y a seize ans et ne t’endors pas avant de l’avoir salué au passage par une pensée bien tendre [1]. Demain quand je te verrai, je serai bien heureuse. Jusque-là, je ne peux être qu’une pauvre Juju soumise à sa destinée et adorant son Toto par-dessus son âme. Je baise tes chers petits pieds adorés pour les réchauffer. Bonsoir amour, dormez bien et aimez-moi encore mieux.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 15-16
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse
[Pouchain]

a) « tu mange ».
b) « préocupation ».

Notes

[1Le mardi-gras de 1833 porte le souvenir de retrouvailles passionnées entre les deux amants. Pour célébrer cette journée, Victor Hugo immortalise sa pensée dans une lettre adressée à Juliette Drouet : « Mardi-gras, 20 février [1849] / Tu as raison, ce jour-ci est aussi un doux et charmant anniversaire. Je n’oublierai jamais cette matinée où je sortis de chez toi, le cœur ébloui. Le jour naissait, il pleuvait à verse, les Masques déguenillés et souillés de boue descendaient de la Courtille avec de grands cris et inondaient le Boulevard du Temple. Ils étaient ivres et moi aussi ; eux de vin, moi d’amour. À travers leurs hurlements, j’entendais un chant que j’avais dans le cœur. Je ne voyais pas tous ces spectres autour de moi, spectres de la joie morte, fantômes de l’orgie éteinte, je te voyais toi douce ombre rayonnante dans la nuit, tes yeux, ton front, ta beauté, et ton sourire aussi enivrant que tes baisers. O matinée glaciale et pluvieuse dans le ciel, radieuse et ardente dans mon âme ! Souvenir ! / Tout cela me revient en ce moment, au milieu d’un autre tumulte, au milieu d’une autre cohue, au milieu de cette autre foule de masques qu’on appelle l’Assemblée Nationale, et qui, eux aussi, sont des fantômes. Je t’écris comme je te parlerais, au hasard, mais sûr de ne rien tirer de mon cœur, ô mon doux ange, qui ne soit de l’amour. Je t’envoie toute mon âme pour remplir tes rêves de cette nuit. » (édition citée de Jean Gaudon, p. 183)

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