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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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14 février [1845], vendredi soir, 6 h.

Tu vois, mon cher bien-aimé, que je brave l’influence du VENDREDI pour te griffonner ces quatre grandes pages de tendresses et d’amour. Je considère que le vrai malheur, c’est de ne pouvoir pas t’écrire toutes les douces choses que j’aurais tant de bonheur à te dire dans le tuyau de l’oreille. Pauvre adoré, te revoilà pris de nouveau dans ce travail à jour fixe. Heureusement que ce sera le dernier d’ici à longtemps. Mais en attendant, tu n’as pas une heure de repos et moi je n’ai pas une minute de vraie joie. Car ce n’est pas se voir que de se frotter le nez entre deux portes à la manière des sauvages comme nous le faisons depuis trois semaines. Aussi, j’attends avec impatience que ton discours soit fait et lu [1], que ton livre soit fini et ait paru [2], pour te baiser à mon aise. Tu n’as qu’à bien te tenir, car je me sens capable de tout après un régime aussi affamant. Mme Luthereau m’a envoyé aujourd’hui deux lambeaux de tapisseries que je crois du quinzième siècle. C’est un fragment de l’histoire de la Vierge. Cela est très petit et très délabré mais cela peut pourtant se raccommodera. En échange, elle te demande deux dessins à la plume pour son mari. Je trouve que ce n’est pas donné. Il est vrai que c’est à titre de relique, sinon de curiosité, que son mari les garderait. Je lui ai répondu tout de suite pour lui dire que ma chambre était terminée et qu’il ne fallait pas priver son mari de sa tapisserie, ce qui ne t’empêcherait pas, AU CONTRAIRE, de lui donner les deux dessins qu’il désirait. Ai-je bien fait, NOT’ MAÎTE ? – Oui, grosse Juju [3].
Depuis que j’ai pris un bain, mon amour, je suis gaillarde. Cela m’a ôté la courbature comme avec la main. Je me sens prête à tout faire et bien autre chose encore si vous vouliez. Je ne devrais pas vous parler de ces choses-là à vous qui êtes un académicien, c’est-à-dire tout ce qu’il y a de plus.... SAGE dans ce monde et dans l’autre. Je vous en demande un million de pardons.
Cher bien-aimé, est-ce que je ne te verrai pas ce soir ? Tu ne m’as rien dit en t’en allant. Ô, tâche de venir, mon Toto chéri. Je t’assure que je ne dors pas bien quand je ne t’ai pas vu une petite goutte le soir. Et puis tu as besoin de te rafraîchirb le sang et tu sais que tu as du raisin qui se pourrira si tu ne te hâtes pasc de le manger. Il faut venir ce soir, mon Toto, je t’en prie, je t’en supplie. Je vais bien penser à toi et te désirer de toutes mes forces pour te faire venir. En attendant, je t’embrasse de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16358, f. 85-86
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « racommoder ».
b) « raffraîchir ».
c) « tu ne te hâte pas ».

Notes

[1Victor Hugo prononce un discours en réponse au discours de réception de Sainte-Beuve à l’Académie française le 27 février 1845.

[2Une nouvelle édition augmentée du Rhin, quatre volumes accompagnés de quatorze lettres inédites, paraît le 3 mai 1845.

[3Juliette emprunte ces répliques « Ai-je bien fait, mon maître ? – Oui, grosse Juju. » à une chanson populaire « Préchi, précha » : « Est-ce bien fait mon maître ? Oui, ma grosse bête ». Il existe différentes variantes de cette chanson. Mais elle écrit « not’ maîte », réplique de comédie imitant le parler paysan.

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