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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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18 janvier [1845], samedi soir, 9 h. ½

Tu viendras, n’est-ce pas, mon bien-aimé ? Je t’attends avec confiance, je t’attends avec amour, je t’attends avec douceur et courage. Tu as été si bon et si tendre ce matin, qu’il m’est impossible de ne pas être rassurée. Mais mon Dieu que j’ai souffert cette nuit et toute la matinée. Il me semblait que mon cœur se fermait jusqu’à ce que je t’aie vua, jusqu’à ce que tu m’aies dit avec ton doux sourire toutes ces tendresses si persuasives. Je me croyais la plus malheureuse femme du monde. J’aurais voulu mourir. Maintenant je veux vivre. Je veux vivre, moi, je suis aimée !
Je t’attends, mon Victor chéri, je serai bien heureuse si tu viens de bonne heure. Ma Clarinette aussi n’en sera pas fâchée. Cette pauvre enfant, elle compte les minutes où elle te voit. C’est une noble occupation, dirait le vieux diable de Pécopin [1], mais elle aimerait mieux compter les heures et les jours où elle serait avec toi et je suis comme elle, et encore plus.bIl paraît que M. Pradier n’a pas reçu les billets d’Institut pour ta réception, ce qui a été cause qu’il n’y est pas allé parce qu’il a pensé que la séance était ajournée. Du reste, il est furieux contre ceux qui auraient dû lui envoyer ses billets. Il a aujourd’hui menéc Claire chercher ses enfants et de là, chez lui, quai Voltaire. Je ne vois pas trop dans quel but, si ce n’est pour lui faire voir ses curiosités. J’aurais autant aimé qu’il ne la conduisît pas dans cette maison toute pleine encore du scandaleux souvenir de sa femme [2]. Mais enfin, puisqu’il l’a voulu, je n’ai rien à dire, car il a autant de droitsd que moi, sinon autant de sollicitude et de scrupules sur sa fille. Clairette est revenue enchantée de l’appartement de son père [3]. Je lui laisse son admiration et je prie Dieu qu’il lui conserve toujours cette tendresse et cette admiration pour son père.
Je vais me coucher, mon petit Toto bien aimé. Je suis un peu souffrante depuis quelques jours, tu sais, et puis je me suis fatiguée ce matin à ranger toutes les boîtes, tous les pots et toutes les reliques de ma chambre. Je sens que j’ai besoin de me mettre au lit. Tu m’y trouveras, et tu viendras t’asseoir sur mes pieds et je te chaufferai ton cher petit dos, tandis que Claire te servira une bonne tasse de bouillon froid et du bon raisin. Ça sera très gentil et très gai et cela me guérira. D’ici là, je te baise bien tendrement sur ton joli petit bec rose.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16358, f. 53-54
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « je t’ai vu ».
b) Ce paragraphe est édité dans la Correspondance de James Pradier [Siler].
c) « menée ».
d) « droit ».

Notes

[1La Légende du beau Pécopin et de la belle Bauldour est un conte écrit par Victor Hugo, correspondant à la lettre XXI du Rhin (1842). Au cours de son voyage fantastique, Pécopin rencontre le diable à deux reprises.

[2Louise d’Arcet, mariée à James Pradier en 1833, est prise en flagrant délit d’adultère en décembre 1844. Tout au long de l’année 1845, un procès pour séparation de corps et de biens oppose le couple.

[3Douglas Siler indique : « L’inventaire après décès témoigne de la richesse du décor : meubles dorés et sculptés Louis XV et Louis XVI en chêne et en acajou, galerie de cheminée en bronze florentin, lampes en bronze avec amours sculptés, vases en porcelaine du Japon, etc., plus une cinquantaine de tableaux et estampes et « un paravent de six feuilles représentant des sujets pastoraux peints par Watteau, prisé deux mille francs »... (James Pradier, Correspondance, t. III, p. 138).

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