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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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9 janvier [1845], jeudi matin, 10 h. ¼

Bonjour, mon Toto aimé, bonjour, mon adoré Toto, bonjour, mon Victor chéri. Comment vas-tu ce matin, méchant ? Tu n’es pas venu hier au soir, vilain. Et moi qui croyais que tu me ferais une surprise en venant de très bonne heure et en restant très tard. Il est vrai que la surprise a eu lieu mais à l’envers. Si j’osais, je grognerais de toutes mes forces, mais je n’ose pas. Pauvre adoré, je t’aime. J’ai le cœur plein de tendresse et d’amour. De loin comme de près, je ne sais que t’aimer de toute mon âme. Quand je te verrai, je serai la plus heureuse femme de la terre.
C’est dans huit jours, mon Toto, que tu fais cette fameuse réception [1]. Je te verrai, je t’écouterai, je t’admirerai avec tout le monde mais pas comme tout le monde. Je voudrais déjà être là. D’abord pour te voir, ensuite parce que je saurai que tu as fini cette rude besogne. Il est vrai que ce sera pour la recommencer bien vite [2], mais enfin ce sera autant de fait. Pendant que j’y pense, mon Toto, je vais te donner en note l’emploi des mille francs que tu m’as confiés. D’une part pour l’assurance, 618 francs, d’autre part pour le loyer – 72 francs 10 sous. Payé au jardinier un acompte – 50 francs. À Mme Sauvageot, 11 cravates et 5 chemises, 31 francs. Il reste donc le sac à emporter, 200 francs, à Granger, 10 francs. Total, 981 francs et 10 sous. J’ai gardé – 18 francs 10 sous pour la dépense de la maison dont il me reste 8 francs à l’heure qu’il est, le reste ayant été dépensé dans la maison et au blanchissage. Je t’écris tous ces détails, mon adoré, pour que tu te rendes comptes toi-même de l’emploi de cette grosse somme. Je te vois si peu que j’ai à peine le temps de te parler et toi, celui de m’écouter. Et puis d’ailleurs, j’aime mieux t’embrasser et te caresser quand j’ai le bonheur de te tenir un petit moment que de te parler affaire et argent. Voilà, mon cher petit homme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16358, f. 31-32
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette


9 janvier [1845], jeudi soir, 6 h.

Tu m’oublies donc, mon cher petit bien-aimé ? Quoi, pas même en allant à l’Académie, tu n’es pas venu baigner tes yeux adorés et me baiser : ça n’est pas gentil. Il me semble aussi que la séance est finie depuis longtemps et que tu aurais eu le temps de venir si tu l’avais voulu ? Pendant que tu m’oublies, moi, je pense à toi et je t’ai envoyé chercher du raisin à la halle. Suzanne en a eu trois livres d’assez beau et pas cher. Tu en mangeras ce soir. Cela te fera du bien. J’ai trop regretté de te faire manger ces atroces poires. Je ne veux plus que tu y goûtes seulement. Nous les finirons, nous autres. C’est assez bon pour nous. Je serai bien triste, mon Toto, si je ne te vois pas tout à l’heure. Je sens que ma provision de courage et de résignation est épuisée. J’ai besoin de la renouvelera dans ton sourire et dans tes baisers. Si tu ne venais pas, je serais bien triste et peut-être même bien inquiète, car je craindrais qu’il ne te soit arrivé quelque chose. Tâche de venir, mon Victor adoré, j’ai bien besoin de te voir, je t’assure. Je ne suis pas de mauvaise humeur, je ne suis pas méchante, mais je t’aime et 24 heures sans un baiser de toi, c’est un siècle de privation et d’ennui. En attendant que tu viennes, je regarde ton cher petit portrait, je lui parle et je le baise. Mais, hélas ! il ne me le rend pas.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16358, f. 33-34
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « renouvellée ».

Notes

[1Le 16 janvier 1845, Victor Hugo prononce un discours en réponse au discours de réception de Saint-Marc Girardin à l’Académie française.

[2En effet, Victor Hugo prononce un nouveau discours le 27 février à l’Académie française en réponse au discours de réception de Sainte-Beuve.

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