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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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23 août [1848], mercredi matin, 7 h. ½

Bonjour, toi que j’aime, bonjour et bonheur à toi, je t’adore. Hier quand on m’a remis ta chère petite lettre [1], j’ai éprouvé un moment d’angoisse inexprimable qui ne s’est pas prolongé, heureusement, puisqu’il ne s’agissait que de changement d’heure pour notre rendez-vous. En te quittant hier j’ai été rencontrée rue Saint-Dominique par un très grand convoi de munitions escorté par la troupe de ligne qui se dirigeait, a-t-on dit, à l’école militaire et au camp des Invalides. Tout cela m’avait prédisposée à la tristesse et à l’inquiétude et j’en étais aux conjectures les plus noires lorsque ta chère petite lettre est venue sonner à ma porte. Le temps de la prendre des mains du portier et de la décacheter, j’ai parcouru tout le cercle des catastrophes et des événements les plus effroyables. Heureusement que ce cauchemara éveillé n’a duré que le temps que je viens de te dire. Quant à vos vociférations intérieures, elles ne m’inquiètent pas au même degré. À tout prendre j’aime mieux un coup de langue qu’un coup de fusil. Des premiers, il n’en meurtb que les plus malades tandis que les seconds tuent indifféremment les mieux portants comme les plus blaireux, les plus nobles et les plus grands, comme les plus vils et les plus infimes. Aussi je suis moins alarmée du tumulte de l’Assemblée que du tumulte de la rue. J’ai moins peur de la sonnette du président que du tocsin des insurgés. Voilà mon opinion politique pour le quart d’heure et puis je t’aime à deux mains, trois cœurs et je te baise à bout portant.

Juliette

BnF, Mss NAF 16366, f. 289-290
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

a) « cauchemard ».
b) « Il n’en meurs ».


23 août [1848], mercredi matin, 9 h. ½

Dans deux heures je serai auprès de toi, mon pauvre bien-aimé, mais, hélas, je prévois que mon bonheur durera juste le trajet de la Madeleine à l’Assemblée, ce qui est bien court, pourtant je ne veux pas empoisonner d’avance toute ma joie par cette vilaine pensée. J’aime mieux ne songer qu’au moment où je te verrai. Je voulais te demander si tu avais enfin arrêtéa un appartement afin de chercher un logis pour moi dans les environs [2]. Tant que je me saurai loin de toi je serai la plus malheureuse des femmes. Peut-être ne t’en verrai-je pas davantage, mais au moins j’aurai l’espoir de te voir arriver à tous les instants, ce qui est déjà beaucoup, tandis que, maintenant, une fois rentrée dans mon colombier, je n’espère plus rien, ce qui est bien triste et bien décourageant. Du reste je n’ai trouvé aucun moyen de t’attendre autre part que chez cette bonne Mme Sauvageot. Je ne connais personne dans le quartier et les églises sont très loin, d’ailleurs il n’y a pas moyen d’attendre plusieurs heures dans une église. Je m’en suis toujours trouvé très mal sérieusement et puis on ne peut pas lire les journaux dans une église. Tout cela fait que je ne vois pas comment résoudre la difficulté. Peut-être ferions-nous bien de donner un de tes ouvrages à la mère Sauvageot pour son mari ? Tu verras si c’est possible et convenable. En attendant je t’aime plus que jamais et je donnerais les deux tiers de ce qui me reste à vivre pour passer l’autre tiers avec toi sans te quitter d’une seconde. Pourquoi ne peut-on pas faire de ces marchés-là ? C’est bien injuste. Il est vrai que ce qui me rendrait service t’attraperait fort. On ne peut pas contenter tout le monde et toutes les Juju à la fois.

BnF, Mss NAF 16366, f. 291-292
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

a) « tu avais enfin arrêter ».

Notes

[1Cette lettre dont parle Juliette Drouet nous est inconnue.

[2La famille Hugo, qui vit depuis le 1er juillet rue de l’Isly, emménagera le 15 octobre rue de la Tour-d’Auvergne. Afin de se rapprocher de son amant, Juliette Drouet quittera la rue Sainte-Anastase pour la cité Rodier durant le mois de novembre 1848.

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