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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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28 juillet [1848], vendredi matin, 8 h.

Je t’aime, mon Victor, je suis triste et jalouse précisément parce que je t’aime. Le jour où je serai gaie, heureuse et confiante, c’est que tu me seras rendu tout entier ou c’est que je ne t’aimerai plus. En attendant je continue d’être la plus malheureuse et probablement la plus trompée des femmes [1]. Les affaires seules ne suffisent pas pour expliquer ton indifférence à mon endroit. Je le sais, du moins je crois le savoir et c’est ce qui me rend si malheureuse. La délicatesse et la générosité, mal entendues, te font un devoir de ne pas me le dire, mais les faits sont là. Il y a des moments, je diraisa même toujours à présent, que je suis tentée de m’en aller bien loin afin de ne pas gêner ton bonheur. Je devrais ne pas hésiter et je n’hésiterais pas si tu avais le courage de m’avouer qu’en effet je te suis indifférente au point de ne pas t’apercevoir de ma disparition. Ne crains rien de mon désespoir, mon cher adoré, je t’aime trop pour te susciter un embarras ou un remords. Je te serai reconnaissante de ne pas me tromper par une fausse générosité.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16366, f. 257-258
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

a) « je dirai ».


28 juillet [1848], vendredi midi

Le temps est comme moi, bien maussade et bien triste et cependant il n’a pas comme moi sujet d’être jaloux et mécontent. Plus je vais en avant moins je suis heureuse. Je sais bien que c’est logique et que le bonheur pour de certaines femmes ne se troque que contre leur jeunesse et leur beauté comptant en deux choses disparues, le bonheur s’en va avec elles. Il n’y a pas d’amour quelque dévoué qu’il soit qui puisse le retenir autrement. Je n’en serais pas à regretter le mien aujourd’hui et je ne rédigerais pas des complaintes quotidiennes sur le malheur de n’être plus aimée. Mais que mettre à la place ? Il y a des cœurs qui ne peuvent pas se passer d’amour et qui sont façonnés de telle sorte qu’il n’y a qu’un seul amour qui puisse leur aller. Le mien par exemple était la gaine exacte du tien, amour, et tout autre que lui ne pourrait pas y entrer. Il faut donc qu’il reste vide puisque tu ne m’aimes plus. Mais à quoi sert de vivre pour un cœur vide ? À quoi sert tout ce rabâchage et comme je dois t’ennuyer. Pardon, mon pauvre bien-aimé, je pousse trop loin le droit de me plaindre et de grogner. Tu es mille fois trop bon de ne pas m’envoyer promener bien loin, très loin, encore plus loin. Je t’aime et je te baise.

BnF, Mss, NAF 16366, f. 259-260
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Depuis l’automne 1843 ou 1844, Victor Hugo entretient une relation amoureuse avec Léonie d’Aunet. Le 5 juillet 1845, les deux amants sont surpris en flagrant délit d’adultère. Si cette affaire fait scandale, Victor Hugo parvient à la cacher à Juliette Drouet. Cette dernière apprendra l’existence de cette liaison, le 28 juin 1851, en recevant de Léonie les lettres que Hugo lui a adressées depuis sept ans.

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