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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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26 avril [1846], dimanche matin, 8 h. ¾

Bonjour aimé, bonjour bien-aimé, bonjour mon adoré, bonjour mon Toto, bonjour comment que ça va qu’on vous dit ? Ici, nous allons toute seringue dehors, ce qui ne nous empêche pas d’avoir passé une très bonne nuit. La toux est moins continue ; enfin je crois que j’en serai quitte pour la peur cette fois-ci [1]. Je me dépêche de te donner toutes ces nouvelles intéressantes avant l’arrivée de Mme Luthereau, parce qu’une fois entrée dans la maison, il semble qu’on entend le tic-tac d’un moulin. Il n’y a plus moyen de faire quoi que ce soit et encore moins de penser. Elle vous suit partout. Du reste, elle ne doit pas venir aujourd’hui mais je ne me fie pas à sa promesse. Pauvre femme, j’ai tort d’en parler ainsi car au fond c’est une très bonne femme, mais qui a juste le charme et l’esprit d’un moulin dans le paysage. Et comme effet pittoresque, ça peut être agréable, mais dans l’intérieur d’une malade rue Sainte-Anastase no 12 au Marais [2], c’est très fatiguant et très monotone.
Cher petit homme chéri, je suis sûre que je vous fais l’effet de la pelle qui se moque du fourgon [3], mais je n’y tiens pas. Parce qu’il y a moulin et moulin, comme il y a pair et pair, comme il y a chose et chose, machin et machin. Comme il n’y a pas Juju et Juju car je suis unique dans mon genre ? À preuve que je vous aime à moi toute seule plus que toutes les femmes de l’univers réunies. ATTRAPÉ.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 411-412
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette


26 avril [1846], dimanche après-midi, 2 h. ¾

Je viens de lever ma péronnelle et de l’amener auprès du feu dans ma chambre. Elle est toujours très faible et très indifférente à tout mais elle ne souffre pas, c’est l’important. Dès qu’elle pourra manger, elle reprendra des forces et de la gaieté, je l’espère. Il n’y a donc plus que patience à avoir. Cher petit homme chéri, il faudra me redonner en gros tout le bonheur que cette maladie m’a fait perdre en détail. Si vous ne le faites pas, vous serez injuste et deux fois cruel, car vous savez que ce n’est pas par ma faute que j’ai laissé échapper une à une les occasions d’être avec vous quelques bonnes minutes et vous savez si je me suis amusée pendant ces alternatives de mal et de pire. Enfin, m’en voici dehors, Dieu merci, et je pourrai me livrer à cœur joie à tout le bonheur que vous pourrez me donner. Jour Toto, jour mon cher petit o. Je t’envoie ma pensée, je t’envoie mon souffle, je t’envoie mon âme dans un baiser. Je t’adore. Quand tu viendras, je te sourirai, je te porterai et j’admirerai ton habit neuf. Voime, voime, prends garde de le perdre. Je te ficherai des bons coups, voilà tout ce que tu auras et bien autre chose encore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 413-414
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Claire mourra en juin de la tuberculose.

[2C’est l’adresse de Juliette Drouet.

[3Se dit de deux personnes, également ridicules, qui se moquent l’une de l’autre, ou d’une personne qui blâme dans une autre ce qu’on pourrait reprendre en elle-même.

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