Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1846 > Avril > 13

13 avril [1846], lundi matin, 9 h. ½

Bonjour mon aimé, bonjour mon adoré, bonjour mon petit Toto, comment vas-tu ce matin ? Es-tu moins contrarié que cette nuit ? Je regrette de n’avoir pas deviné que je te mécontenterais en faisant dîner cette personne [1] avec moi. Cela ne m’arrivera plus désormais, je te le promets. Je suis trop peinée quand je te contrarie en quoi que ce soit pour avoir jamais la pensée de recommencer sciemment. Ce matin j’ai le cœur gros et les yeux tout chargés de larmes. Je me retiens pour ne pas pleurer mais je reste triste dans l’âme. Il faudra que tu viennes de bonne heure et que tu me souris et que tu sois bien doux et bien tendre pour me rendre la joie et le bonheur. Je ne reçois toujours aucune lettre de Mme Luthereau. Il est vrai que la journée commence seulement. Quelle que chose qui arrive, je te promets de tout faire pour t’éviter les ennuis et les embarras d’un séjour chez moi ou la responsabilité d’un trop près voisinage [2]. Son fils viendra sans doute aujourd’hui, mais dans tous les cas elle ne peut pas compter sur mon hospitalité après ce que je lui ai écrit et ce qu’elle m’a répondu. Mon Victor chéri, mon amour, mon petit bien-aimé, je ne veux pas que tu sois fâché contre moi. Si je fais des bêtises, c’est à mon insua mais dès que je vois qu’elles te mécontentent, je m’appliqueb à ne plus les recommencer. C’est pour cela qu’il ne faut pas m’en vouloir, au contraire et m’en aimer davantage pour le chagrin que cela me fait quandc je m’en aperçois.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 373-374
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

a) « insçu ».
b) « m’appliquent ».
c) « qu’en ».


13 avril [1846], lundi après-midi, 3 h. ½

J’ai déjà reçu contre-ordre de la part de Mme Luthereau pour me dire de ne pas l’attendre à dîner aujourd’hui. D’un autre côté, je venais déjà de presque congédier les pauvres petites Rivière à cause d’elle. Et cependant il m’aurait été très agréable de passer la soirée avec ces deux charmantes jeunes filles. De plus, ma fille [3] qui abuse de son indisposition pour avoir des caprices et des exigences, m’écrit pour me prier de l’envoyer chez son père parce qu’il désire que son médecin la voie. Tout cela accompagné de toux et de complaintesa, on dirait que tout le monde prend à tâche d’abuser de ma complaisance et de ma mansuétude. Dans ce moment-ci je me révolte et je suis sur le point d’envoyer tout le monde au diable voir si j’y suis. En attendant, je vaisb courir après les petites Rivière pour qu’elles avertissent leur tante [4] demain de venir mercredi conduire Claire chez son père. Je ne sais pas si on pourra les retrouver. Tu vois mon pauvre aimé, que je continue mon commerce de guignon et que rien ne manque à ma collection en ce genre. Pour comble de rage, il ne me manquerait plus que tu ne viennes pas de la journée par discrétion et pour laisser le champ libre à la mère Luthereau. Vraiment ce serait pour en jeter toutec espèce de manche après toutec espèce de cognée. Tout cela me donne un mal de tête fou et je ne sais pas ce que je deviendrai si je ne te vois pas d’ici à ce soir. Je t’attends mon bien-aimé, viens donc bien vite.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 375-376
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

a) « complainte ».
b) « fais ».
c) « tout ».

Notes

[1La veille, Juliette Drouet a reçu à dîner sa cousine et filleule Eugénie Drouett, et ses amis.

[2Laure Krafft, amie de Juliette Drouet, a eu deux enfants hors-mariage dans sa jeunesse, puis s’est mariée avec Jean Luthereau, et vit avec lui à Bruxelles. Elle projette une visite à Paris pour une affaire délicate dont on ignore la nature exacte. Juliette veut lui venir en aide sans risquer sa réputation. Elle lui cherche donc un logement pour éviter de l’héberger.

[3Claire, fille du sculpteur James Pradier, est malade. Les premiers signes d’une tuberculose non encore diagnostiquée se sont déclarés fin mars.

[4Les petites Louise et Julie Rivière ont deux tantes, Joséphine et Eulalie.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne