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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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10 juillet [1848], lundi après-midi, 2 h.

Je ne t’avais pas écrit ce matin, mon chez petit homme, parce que je craignais d’être en retard. Maintenant que je suis rentrée je reprends mon gribouillis et je m’en donne sans compter. Tous les baisers, toutes les caresses que je ne peux pas mettre sur tes yeux et sur tes lèvres je les griffouille sur le papier pour en désencombrer mon cœur. J’ai été bien triste tantôt quand je t’ai eu quitté. Je sais bien que tu m’as promis de venir, mais ta promesse est subordonnée à tant de choses et d’affaires que je n’ose pas y compter. Je te sais gré pour tant d’attention et je t’en remercie avec ce que j’ai de plus doux et de meilleur dans le cœur. Si tu viens ce soir, et je fais des vœux bien ardents pour cela, je serais la plus heureuse des femmes. Si tu ne peux pas venir, ce que je redoute plus que la République et les insurgés, son auguste famille, je serai la plus triste des Juju. Hier et aujourd’hui je n’ai pas la conscience du chemin que j’ai fait après t’avoir quitté ni n’aia le souvenir d’avoir vu un visage humain. Je me suis trouvée à ma porte sans savoir comment tant j’étais absorbée par le regret de te quitter et le chagrin que me cause ton éloignement de la maison [1]. Décidément je ne m’y habituerai jamais, c’est plus fort que moi. Pardonne-moi de te le dire sans cesse mais c’est une idée fixe chez moi et rien ne peut m’en distraire. Je t’aime trop.

Juliette

MVH, 8108
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux

a) « ni n’ai pas »


10 juillet [1848], lundi après-midi, 4 h.

Mon cher adoré bien-aimé, j’ai le cœur plein de toi, je ne pense qu’à toi, je ne désire que toi, ne crois qu’en toi et n’espère qu’en toi. Je ne sais pas si tu pourras venir ce soir mais ce que je sais c’est que je serai bien triste si je ne te vois pas d’ici à demain. Quand je pense que j’en ai pour six mois de ce supplice j’en suis désespérée et aucun moyen d’abréger mon exil. J’ai beau chercher et m’ingénier je ne trouve rien, la République et la misère générale étant données, aussi je suis triste au fond de l’âme et tout ce qui n’est pas toi m’est odieux. Si jamais nous revenons à des jours de paix, de loisir et de bonheur j’en userai avec des transports de reconnaissance et une avidité frénétique. Hélas ! nous n’en sommes pas là et Dieu sait si nous y serons jamais. Quant à moi je suis profondément découragée. Je n’ose pas sonder l’avenir et le présent me fait peur pour toi, pour ta famille car pour moi personnellement je n’ai aucune crainte. Ce qui m’effraie, me rend malheureuse au-delà de toute expression c’est le danger auquel tu es exposé tous les jours et notre séparation. Ces deux choses réunies remplissent ma vie d’inquiétude et de chagrin. Je n’ai d’intermittence que pendant les seuls courts moments pendant lesquels je te vois, aussi tu juges si tu es désiré par moi, et avec quelle tendre reconnaissance je reçois tes rares visites.

Juliette

MVH, 8109
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux

Notes

[1Après avoir assisté, durant les événements de juin 1848, à l’envahissement de son logement par des émeutiers, la famille Hugo a quitté la place Royale pour s’installer au 5 de la rue de l’Isly, s’éloignant alors de la rue Sainte-Anastase où vit Juliette Drouet.

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