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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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8 juillet [1848], samedi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon amour, bonjour. Dormez, je vous l’ordonne. Comment avez-vous passé le reste de la journée hier, y compris la nuit ? Qui me le dira et quand vous verrai-je, mon plus qu’aimé ? Je ne suis pas assez chanceuse pour avoir ce matin la même bonne fortune qu’hier. Je ne le sais que trop. Si je pouvais seulement espérer que vous viendrez ce soir, il me semble que cela me donnerait du courage pour toute la journée. Mais le doute et l’incertitude dans lesquels je suis m’affadissent déjà le cœur et m’ôtenta toute énergie. Ce n’est pas de ma faute. Taisez-vous ! Si je sortais pour voir tantôt sur la place de l’Assemblée nationale, j’irais vous y attendre au risque de me faire arrêter par les tourlourous intrigués. Malheureusement, vous êtes capable de ne pas deviner que je suis là et j’en serais pour ma course, pour ma honte et ma rage, et puis encore je craindrais que, par le plus hideux des guignons, vous ne veniez chez moi pendant que je vous attendrais sur la place publique. Il faut donc que je me résigne à vous attendre indéfiniment et tant qu’il plaira au bon Dieu, aux affaires et à vous de me faire attendre. Malgré le peu d’agrément de la chose, je vous aime et je vous aimerai quand même. C’est un parti pris.

Juliette

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Transcription de Gérard Pouchain
[Barnett et Pouchain]

a) « ôte ».


8 juillet [1848], samedi après-midi, 4 h.

La journée s’avance trop lentement à mon gré, mais enfin elle s’avance et j’espère que tu viendras ce soir. Cet espoir me soutient et me donne le courage de t’attendre sans trop d’impatience et de chagrin. Pour me faire paraître le temps moins long, j’ai fait aujourd’hui divers rangements, non compris les triquemaques du ménage et de mon [illis.]. Je viens seulement de les terminer tous. Maintenant je t’attends avec toutes sortes d’impatiences rentrées, toutes sortes de tendresses comprimées, retenues, contenues et continues. Je ne serais pas fâchée de me dégonfler un peu en versant le trop-plein de mon cœur dans le vôtre. Je suis sûre qu’il y a de la place de reste, à moins que vous n’ayez gardéa fidèlement tout l’amour que j’y ai mis depuis seize ans, ce dont je doute très fort. Votre cœur ressemble trop au tonneau des Danaïdes, tout l’amour du monde passerait à travers sans y laisser seulement une seule goutte. Aussi, j’ai pris le parti d’épaissir le mien, d’amour, de manière à ce qu’il reste dans votre cœur malgré vous. Pour cela, je le fais passer par mon esprit comme font les bonnes gens qui conservent des oiseaux vivants en les trempant dans de certaines sources qui en font d’affreuses cocottes en pierreb. Enfin, je fais comme je peux. Tant pire si mes baisers si doux, si mon amour si tendre vous arrivent à l’état d’informes cailloux, la faute en est à vous d’abord et à ma stupidité ensuite.

Juliette

Leeds, BC MS 19c, Drouet/1848/44
Transcription de Joëlle Roubine

a) « garder ».
b) « pierres ».

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