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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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8 mai 1848

8 mai [1848], lundi matin, 8 h.

Bonjour, mon bien-aimé, bonjour, ma joie, bonjour, mon amour, je t’aime, bonjour. Beau jour et bonheur à toi et aux tiens. Je t’ai attendu jusqu’à onze et demie espérant que tu viendrais puis enfin je me suis couchée assez désappointée. Je le suis toujours chaque fois que je dois te voir et que tu ne viens pas. Je n’ai pas encore pu prendre mon parti là-dessus et je n’espère pas le prendre jamais. Je mourrai avec cette maladie là si ce n’est par elle.
J’ai trouvé qui m’attendaienta hier, Mme Triger et Julie [1]. Le soir M. Vilain est venu et a reconduit Mme Triger jusqu’au boulevardb parce qu’elle avait peur disait-elle de traverser mes rues. La vraie cause de sa venette [2], c’est qu’elle avait deux cent francs en argent avec elle. La malheureuse se croyait en sûreté chez moi ! Ô CANDIDE MADAME TRIGER ! Enfin je l’ai laisséec partir avec son magot escortée de M. Vilain mais je m’en repends. Il faudra maintenant que j’attende une autre occasion. Je crains qu’elle ne revienne pas assez tôt. En attendant baisez-moi et taisez-vous.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16366, f. 169-170
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

a) « m’attendait ».
b) « boulevart ».
c) « je l’ai laissé ».


8 mai [1848], lundi midi

Mon Victor bien aimé, je t’aime, je t’aime, je t’aime. Je voudrais trouver des mots tout neufsa qui n’aient jamais été profanés par personne pour te dire l’amour ineffable que j’ai dans le cœur. Si je pouvais je prendrais le parfum le plus suave, le chant le plus tendre, le rayon le plus doux pour en composer un baiser divin, le mot le plus mélodieux et la caresse la plus pénétrante. Je le déposerais à la fois sur tes lèvres, dans ton oreille et dans ton cœur. Dans l’impossibilité de prendre aux fleurs, aux oiseaux et au ciel ce qu’il faut pour traduire mon amour en langue sublime, je me résigne à te dire vulgairement et comme la première Vésuvienne [3] venue à te dire que tu es mon Toto bien aimé dont je ne voudrais faire qu’une bouchée. Malheureusement vous ne vous y prêtez pas assez. Taisez-vous et donnez-moi de l’argent, ça vaudra mieux. Donnez-moi une culotte et je vous donne ma voix. Donnez-moi TOUT et je vous donnerai le RESTE et bien autre chose.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16366, f. 171-172
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

a) « mots tout neuf ».

Notes

[2Terme bas et populaire qui désigne la peur, l’inquiétude, l’alarme. (Littré)

[3Les Vésuviennes sont des femmes parisiennes qui ont pris les armes lors de la Révolution de 1848. Elles revendiquent une Constitution politique pour les femmes, l’accès à tous les emplois publics, civils, religieux et militaires. Ultra-radicales, elles desservent toutefois la cause féministe en réclamant des réformes fantaisistes comme l’obligation du mariage à 21 ans, la mise en place du service militaire obligatoire féminin, et le doublement du service militaire pour les hommes qui refuseraient les tâches ménagères.

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