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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 16 septembre [18]78, lundi matin, 7 h.

Cher bien-aimé, je t’envoie mon bonjour le plus tendre, le plus souriant, le plus confiant et le plus religieux. J’espère que des pauvres petites fleurs que j’ai cueillies, je devrais dire : REcueillies hier à la Maison Visionnée [1] pendant la formidable tourmente qui rugissait autour d’elle à ce moment-là et qui me rappelait celle à laquelle ma pauvre âme était en proie si récemment [2], renaîtronta pleines de sèves les fleurs : espérance, amour, bonheur. Je te confie cette douce semence de mon cœur au tien, en priant Dieu de la développer et de la bénir sur la terre et au ciel où j’aspire à aller bientôt.
Cher bien-aimé, je te remercie d’avoir ajourné ta réponse à Mme Benderitter [3]. Tu verras plus tard que sa galanterie en était disproportionnée et aurait choqué ton correct et mesuré cousin le marquis de Coriolis [4], le doseur exquis par excellence. D’ailleurs tu m’avais conféré autrefois l’honneur de répondre pour toi à cette dame chaque fois qu’elle t’écrivait. Ai-je donc démérité depuis ? That is the question à laquelle il faut répondre si tu l’oses ou si vous le pouvez [5]. Moi je t’aime et je vous adore.

Monsieur
Victor Hugo
Hauteville House

Syracuse
Transcription Gérard Pouchain
[Barnett, Pouchain]

a) « renaitrons ».

Notes

[1Située au bord des falaises, à Torteval, cette ancienne maison de guet est évoquée dans Les Travailleurs de la mer (Première partie, livre cinquième, IV) : « Elle est, dit-on, visionnée. Hantée ou non, l’aspect en est étrange. »

[2Pendant l’été, ayant découvert les preuves de la liaison durable de Victor Hugo avec Blanche Lanvin, Juliette Drouet a connu d’affreux tourments.

[3« Vous êtes une belle âme et toutes les effusions de votre cœur vont à mon cœur. Maintenant que vous dire ? Ce serait doux et charmant de faire ce que vous me demandez, car j’aime cette femme qui est une grâce et qui est un esprit. Mais je ne fais plus que des vers sévères et sombres, des vers de devoir, songez à mon profond deuil. Je suis aux pieds de madame Déjazet, et à vos pieds, madame. » (La lettre de Victor Hugo à Madame Benderitter, écrite le 27 août 1874, est accompagnée d’une note : « Il est probable que Madame Benderitter avait demandé à Victor Hugo quelques vers pour la représentation organisée au bénéfice de Déjazet. » [Correspondance de Victor Hugo, édition de l’Imprimerie nationale, tome IV.] Le 4 février 1876, Victor Hugo note dans son Carnet  : « Mme Joséphine Benderitter, rue de la Fontenelle, 31, Montmartre. »

[4L’épigraphe du poème « Écrit en 1846 » (Les Contemplations, tome II, livre cinquième, III) reproduit une lettre du « marquis de C. d’E… », soi-disant adressée à Victor Hugo en 1846 : « Je vous ai vu enfant, monsieur, chez votre respectable mère, et nous sommes même un peu parents, je crois. » Au chapitre « Requiescant » (Les Misérables, troisième partie, livre troisième, III), on retrouve le marquis de Coriolis d’Espinousse, « l’homme de France qui savait le mieux “ la politesse proportionnée ” », dans le salon de Madame de T. 

[5Juliette Drouet cite, en le modifiant, un vers de Corneille, « Devine, si tu peux, et choisis, si tu l’oses » (Héraclius, empereur d’Orient, acte IV, scène 4, vers 1408). (Renseignement aimablement communiqué par Michel Bernard.)

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