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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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6 février [1846], vendredi matin, 9 h. ½

Bonjour mon petit homme, bonjour toi, bonjour vous, comment que ça va ? M’aimez-vous un peu ce matin ? Moi je vous aime à n’en plus finir. Je voudrais qu’il fût déjà l’heure de vous voir. Je ne sais pas si vous y pensez, vous, mais moi j’y pense et je le désire pour nous deux. Le temps est tout à fait ressuyé et il fait un soleil magnifique. Cela ne veut pas dire que je fais concurrence à l’ingénieux chevalier opticien du roi, cela veut dire que j’ai le cœur bien gros quand je vois le beau temps par la pensée que je n’en profiterai pas avec vous. Je ne veux pas commencer ma journée par des rabâcheries inutiles, je renfonce ma tristesse et je vous souris. Si vous voulez que je vous porte, venez. Si vous voulez que je vous fasse la fameuse confidence sur la manière dont Jacquot procédait quand il me dévorait, approchez votre oreille. Si vous voulez que je sois heureuse aimez moi et venez bien vite. Si vous voulez que je danse de joie apportez-moi une bonne culotte et tout ce qui s’ensuit et surtout tout ce qui s’ensuit. Maintenant que je vous ai donné mon programme il ne me reste qu’à vous baiser bien humblement depuis la tête jusqu’aux pieds.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 127-128
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette


Vendredi 6 février [1846], 4 h. ¾ après-midi

Je suis bien punie, mon Toto, de ne pouvoir pas profiter de ce beau temps-là, mais avec la meilleure volonté du monde je ne le peux pas, je souffre des douleurs inouïes, je n’ai jamais eu de souffrance aussi persistante et aussi agaçante que celle que j’éprouve depuis si longtemps dans mon chien de pied. C’est un sujet inépuisable de plaintes et d’impatience pour moi. Cela se marie très bien avec un autre mal non moins persistant et non moins agaçant que je ne nomme pas et pour cause [1]. Toujours est-il que c’est fort ennuyeuxª pour moi et que je voudrais bien varier un peu, sinon mes plaisirs, au moins mes maux.
Où êtes-vous, mon aimé, que faites-vous ? À qui souriez-vous ? À qui dîtes-vous des galanteries pour que j’aille vous donner des coups de pied et vous griffer la figure ? Répondez tout de suite si vous n’êtes pas le plus faux et le plus poltron des Pairs de France. En attendant j’ai la ressource de lire Le Moniteur. Ce divertissement mériterait de figurer au nombreb de ceux qu’on donnait à Marie de Neubourg y compris les 6 loups. Lire Le Moniteur, mâtin c’est crânement chouette et cela doit monter fameusement l’imagination [2]. Je m’en aperçois de reste à mon STYLE. Il ne me manque plus que Le Constitutionnel pour me faire pousser des cucurbitacées jusque dans le nez.
Merci je sors d’en prendre, qu’on me mette sous cloche tout de suite et que ça finisse. Baisez-moi, vous, et venez.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 129-130
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

a) « ennuieux ».
b) « aux nombres ».

Notes

[1Possiblement les règles.

[2Citation de Ruy Blas (acte II) : depuis la chasse, le roi écrit à la reine (Maria de Neubourg) « Madame, il fait grand vent et j’ai tué six loups. » Casilda, sa confidente ironise sur le fait que ce genre d’information « vous monte / L’imagination ! »

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