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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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30 janvier [1846], vendredi matin, 9 h. ¼

Bonjour mon Toto adoré, bonjour. Comment vas-tu et comment m’aimes-tu ? As-tu pensé à moi, cette nuit, m’as-tu regrettée et m’as-tu plaint ? Je me suis couchée avec la presque certitude que tu ne viendrais pas et mon sommeil s’en est ressenti. Heureusement que voici le jour revenu et je puis espérer te voir d’ici à quelques heures pour employer mon temps le moins tristement possible. Je m’occupe de toi, je pense à toi et je t’aime. Il fait un temps ravissant ce matin, je ne sais pas s’il tiendra. Je pense qu’il serait bien doux d’en profiter bras dessus bras dessous comme deux bons petits amoureux que nous sommes, du moins je parle pour moi. Cependant il n’est guère probable que tu aies un moment aujourd’hui qui ne soit pas impérieusement pris par les affaires. Aussi je ne me fais pas cette joie d’avance pour n’avoir pas le chagrin de la déception tantôt.
Cher petit homme, je voudrais vous voir, je voudrais savoir à quelle heure vous êtes parti et à quelle heure vous êtes rentré hier, ce que vous avez fait, ce que vous avez dit et à qui vous avez pensé. J’ai besoin de vous baiser et de reprendre du courage et de la résignation dans votre sourire. Venez donc bien vite mon Toto, je vous attends avec tout mon amour dehors. D’ici-là je vous aime et reraime de toutes mes forces et de toute mon âme et je vous désire de même.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 99-100
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette


30 janvier [1846], vendredi après-midi, 3 h. 

Je t’ai vu mon adoré, mais si peu, si peu que c’est tout au plus si je suis bien sûre de t’avoir vu. Tu devrais bien venir me confirmer par ta présence la trop courte et trop fugitive apparition que tu as faite tantôt. D’ailleurs tu me l’as promis. Il est vrai que tu promets toujours, ce qui ne t’engage à rien, malheureusement. Si c’était moi, je promettrais autant que vous mais je tiendrais dix millions de fois plus, voilà la différence. Il fait un temps exquis et qui me donne une envie atroce de m’en aller vous chercher au hasard avec la confiance que mon instinct ne me tromperait pas et que je vous trouverais. Mais vous n’êtes pas homme à vous prêter à ce genre d’expédition, ce qui fait que je reste bêtement chez moi à vous attendre indéfiniment. Je m’aperçois que je grognonne tout doucettement et que je me laisse aller à mon penchant favori sans pitié pour vos yeux qui doivent êtres fatigués de lire tous les jours les mêmes doléancesª insipides. Voyons, il faut que j’essaie autre chose et que je m’applique à être très aimable. Hum ! Hum ! Hum ! J’ai un mal au pied de chien. Bon ce n’est pas ça. J’ai trouvé deux puces aujourd’hui, ça n’est pas encore assez drôle, cela ressemble un peu trop au billet de Don Carlos. Il fait grand vent et j’ai tué six loups [1]. Ah ! Tiens décidément j’y renonce, l’esprit n’est pas fait pour moi, je n’en ai pas besoin. J’aime mieux vous dire tout bonnement que je serai d’une humeur massacrante jusqu’à ce que je vous aie revu.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 101-102
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

a) « doléences ».

Notes

[1Citation de l’Acte II, scène 3 de Ruy Blas. Le roi envoie ce billet laconique à la reine dépitée : « Madame, Il fait grand vent et j’ai tué six loups. »

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