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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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23 janvier [1846], vendredi matin, 9 h. ½

Bonjour mon bon petit Toto, bonjour mon cher bien-aimé, bonjour je t’aime, comment vas-tu ? Je m’en veux de ma somnolence de cette nuit, je ne devrais jamais avoir besoin de dormir quand tu es là. Il est vrai que si tu me parlais je passerais la nuit sans sentir la moindre pesanteur sur les yeux. Mais te voir lire, passé une certaine heure, c’est plus fort que moi. Je t’en demande pardon quoique ce ne soit pas de ma faute. Si vous me parliez cela n’arriverait pas et si vous me donniez à copier je ne serais pas tenter d’aller m’ennuyerª hors de chez moi comme je l’ai fait hier. Je voudrais bien savoir quelle raison mystérieuse et secrète vous avez pour ne pas me donner à copier tout de suite puisque vous avez des choses toutes prêtes ? Il me prend envie de farfouiller dans vos papiers et d’en tirer au hasard des feuilles que je copierai pour mon plaisir quitte à les recommencer si vous le trouvez bon. Hum, que dites vous de cette idée, elle me paraît lumineuse ? Et puis qu’est-ce que vous pourriez me faire d’ailleurs, vous ne me tueriez pas, ainsi ce serait toujours autant de bonheur de pris. Cela vous apprendrait une autre fois à ne pas me faire attendre si longtemps. Mais il faudrait pour cela que j’aie le courage de vous déplaire, chose que je n’ai pas encore pu faire volontairement. Je suis trop bête, je n’ose pas et voilà pourquoi vous en abusez. Si jamais je rattrape mon cœur de vos griffes, vous verrez toutes les méchancetés que je vous ferai. D’ici là il faut que je me résigne et que je vous aime de toutes mes forces, ce que je fais de tout mon cœur.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 73-74
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

a) « ennuier ».


23 janvier [1846], vendredi soir, 6 h. ½

Merci mon Toto, merci mon bien-aimé, merci mon adoré. Tu m’as donné trois bien bonnes heures et que je n’oublierai jamais, fussé-jeª dix milles fois centenaire. Seulement comme l’appétit vient en mangeant j’aurais voulu que ces trois heures se prolongeassent trois jours et plus encore même. C’est si bon et si doux de vivre avec toi. Tu ne sais pas cela, toi, mais moi je le sens jusque dans les bouts des ongles. Dès que je suis avec toi je sens en dedans de moi toute une fête d’amour et de joie qui s’anime et finit par me posséder touteᵇ entière. Mais aussi dès que tu es parti tout s’éteint et disparaît absolument comme pour les fêtes de luxe dont tu parlais tout à l’heure. Mon pauvre cœur retombe dans son obscurité et dans sa misère de tous les jours. Malheureusement il n’y a pas de boutiques d’approvisionnement pour ce genre de luxe et je suis obligée d’attendre que le hasard ou la nécessité me procure une aubaine comme celle d’aujourd’hui.
Cher adoré, je ne veux pas être ingrate. Je n’en ai pas le droit d’ailleurs. Je veux au contraire conserver pieusement et le plus longtemps possible le goût et le souvenir des trois heures de bonheur que tu viens de me donner. Pour cela je vais refaire en pensée le chemin que nous avons fait, les stations où nous nous sommes arrêtés, revoir le beau ciel que tu as admiré, respirer l’air qui t’a touché, baiser les pavés qui t’ont porté, t’adorer dans chacune des paroles que tu m’as dites.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 75-76
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

a) « fussai-je ».
b) « tout ».

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