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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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19 janvier [1846], lundi, midi ½

J’ai déjà absorbé mon bonheur de la journée, mon cher amour, aussi je voudrais être à ce soir pour avoir ma seconde ration. À peine t’ai-je vu que j’en suis aux regrets et aux désirs, c’est toujours comme cela. Les jours ont beau se succéder, les incidents de ma vie sont toujours à peu près les mêmes : te désirer de longues heures, te voir quelques minutes dans la journée un peu plus tôt ou un peu plus tard. Hier pourtant tu es venu plus tôt que je ne t’attendais et tu es resté le plus que tu as pu, aussi étais-je la plus heureuse des femmes. Si tu avais pu voir ce qu’il y avait de joie et de bonheur dans mon cœur tu aurais été bien récompensé du sacrifice que tu me faisais. Aujourd’hui je vis sur le souvenir de cette douce soirée. Quoiqu’il n’y ait pas de Chambre, je sais tout ce que tu as à faire, et je ne t’attends pas plus tôt que d’habitude. Je serais bien agréablement surprise si tu venais t’installer auprès de mon feu pour n’en plus sortir d’ici au dîner. Mais je ne veux pas me faire d’avance cette illusion pour n’avoir pas le chagrin de la déception ! Jour Toto, jour mon cher petit o l’H haussée dans thym [1]. Voime, voime, que je vous y prenne pôlisson et vous aurez affaire à moi. C’est bien assez de votre sarment desséché pour vous immortaliser dans les [dessinª]. Je n’ai pas besoin que vous ajoutiez avec le célèbre Richi de yeux plus ou moins rouges. Vous êtes pair de France, contentez-vous de cette jovialité et baisez-moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 59-60
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

a) Dessin :

© Bibliothèque Nationale de France

19 janvier [1846], lundi soir, 6 h. 

O tu es bon, mon Victor. O je t’aime. Je t’aime tant que je voudrais verser le trop plein de mon amour et de mon admiration dans tous les cœurs. Je le pourrais sans en être appauvrie, car je suis de la nature de certains arbres qui donnent d’autant plus de fruits et des plus beaux selon qu’on les récolte en leur temps. Je te dis cela comme je peux mais ce que je sens est au-dessus de toute l’éloquence, de toute la poésie et de tout le génie humain. Il y a des moments où je crois que le bon Dieu m’a faite d’un morceau de lui-même pour te comprendre, t’admirer et t’adorer.
Je ne te verrai plus que cette nuit et j’ai donné congé à Suzanne pour toute la soirée. Je vais donc penser à toi et te désirer dans le silence et dans le recueillement. Quand tu viendras, je t’accueillerai avec mon plus doux sourire, avec mes plus tendres baisers, avec tout mon cœur sur les lèvres et toute mon âme dans mon regard. Je ne veux plus qu’il reste sur mon front une seule trace de tout l’ennui et de toute l’impatience que m’aura causé ton absence. De ton côté, mon Victor bien aimé, pense à moi, aime-moi et désire-moi. Je suis sûre que je le sentirai malgré la distance et que mon cœur en sera consolé ! Tâche de venir le plus tôt que tu pourras et sois-moi bien fidèle. Dans cette dernière recommandation, il y a la prière de toute ma vie. Je baise toute ta divine et ton adorable petite personne depuis la tête jusqu’aux pieds.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 61-62
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Il s’agit d’un calembour, Juliette fait référence à la Rue de la Chaussée - d’Antin qui se trouve actuellement dans le 9e arrondissement de Paris.

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