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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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13 janvier [1848], jeudi matin, 9 h.

Bonjour, mon pauvre adoré, bonjour, mon cher petit homme, attrapé, bonjour, mon sublime naïf, bonjour, mon trop loyal petit homme, bonjour, amour et admiration à toi que j’adore.
J’espère que malgré le contretempsa d’hier, tu sauras bien prendre ta revanche. J’y compte bien et je vois déjà d’ici le nez de ton cousin [1] prendre des proportions gigantesques. En attendant tu auras été contrarié et tu auras eu un surcroît de fatigue d’un jour tout entier par la faute de cet olibrius que le diable emporte dans le plus perdu et le plus noir de ses COINS.
Comment vas-tu ce matin ? Je n’espère pas te voir d’aucune façon car le temps exigera que tu ailles en voiture de chez toi à la Chambre directement. Ensuite si tu parles, comme c’est sûr, tu seras retenu très tard [2]. Je n’ai donc aucune chance de te voir avant neuf ou dix heures du soir. Je me résigne le mieux que je peux en songeant qu’on t’applaudit et qu’on t’admire et que j’aurai le bonheur d’en faire autant demain en lisant Le Moniteur. Cependant je t’avoue qu’un seul baiser de toi et la plus petite minute de ta présence me sont plus précieux que tous tes triomphes publics. Je m’en accuse avec la certitude de ne m’en corriger jamais. Je t’aime trop pour cela.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16366, f. 15-16
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

a) « contre temps ».


13 janvier [1848], jeudi après-midi, 2 h. ½

Je savais bien, mon Toto, que tu ne pourrais pas venir et pourtant j’en suis autant désappointée que si je ne m’y étais pas attendue. Cela tient à ce que je te désire malgré vent et Marais [3], malgré la Chambre et les discours, malgré la pluie et les cousins philosophes. Moins j’ai de chance de te voir et, plus je t’attends non par contradiction, mais parce que je me rapprochea par la pensée et le désir de toi au point de te croire tout près de moi et n’ayant plus que la porte à ouvrir pour te voir. C’est bête comme tout ce que je te dis là [4], mais c’est vrai.
Je pense que dans ce moment-ci tu montes à la tribune, que toutes les lorgnettes mâles et femelles sont braquées sur toi ; que tu es beau, que tu es grand, que tu bois ton verre d’eau sucré des SUEURS DU PEUPLE, et mon cœur bat de jalousie, d’amour, d’admiration et D’INDIGNATION POPULAIRE pour cette goinfrerie oratoire. Vous me direz si ma SECONDE VUE ne m’a pas trompée et si je vous ai bien vu dans tous vos détails. Je vous recommande, pendant que vous y êtes, de faire un tour à la BUVETTE et de manger tout ce que vous y trouverez de meilleur parce que probablement vous n’aurez pas d’occasion de rien prendre nulle part avant 11 h. ou minuit. Sur ce baisez-moi, cher admiré, et baissez les yeux, les femmes vous regardent.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16366, f. 17-18
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

a) « raproche ».

Notes

[1Cette allusion reste à élucider. Nous ne savons si Juliette Drouet fait ici allusion à Adolphe Trébuchet, cousin germain de Victor Hugo qui travaillait notamment à la Préfecture de police de Paris en 1824.

[2Ce jour-là, Victor Hugo prononce son dernier discours à la Chambre des Pairs. Dans cette allocution sur le Pape Pie IX, le poète soutient le sixième paragraphe de l’adresse au roi, qui sert de réponse au discours de la Couronne. Alors que le gouvernement voit en son projet de réunification de l’Italie de possibles révoltes, Victor Hugo, lui, approuve les réformes libérales du pape et trace de lui un portrait solennel. Le discours est accueilli froidement.

[3Jeu de mots sur l’expression « vents et marées ». Le Marais désigne ici le centre modéré de l’Assemblée.

[4Réplique de Don César, à l’acte IV, scène 3 de Ruy Blas.

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