Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1847 > Novembre > 7

7 novembre [1847], dimanche matin, 8 h. ½

Bonjour, mon cher petit homme adoré, bonjour je t’aime. Comme je sais que tu as le projet de venir travailler de bonne heure, je me dépêche de faire toutes mes affaires pour que tu trouves la maison prête à te recevoir.
Mon Toto bien-aimé, je partage et je comprends toute ton impatience de voir ta pauvre chère femme tout à fait guérie ; s’il ne dépendait que des prières et des vœux les plus ardents, elle le serait déjà depuis longtemps. Malheureusement on ne peut pas espérer de convalescence plus rapide à cette hideuse maladie [1]. Il faut s’estimer très heureux de n’avoir plus aucun danger à redouter et accepter avec courage et résignation cette lente et difficile convalescence. Cher adoré, mon amour, ma vie, mon âme, je voudrais que tu ne sois jamais triste. Je ne peux pas supporter la pensée que quelque chose te tourmente, cela m’est odieux. Aussi personne plus que moi ne désire la santé et le bonheur de tous ceux que tu aimes, puisque ta tranquillité et ton bonheur propres y sont attachés.
Mon Victor je te souris, mon Victor je t’aime, mon Victor je t’adore, mon Victor je baise tout ton cher petit corps depuis les cheveux jusqu’aux pieds.

Juliette

MVH, α 7996
Transcription de Nicole Savy


7 novembre [1847], dimanche, midi ¼

Je te verrai bientôt, mon doux adoré, cela suffit pour m’empêcher de ressentir l’influence de cet affreux et lamentable temps brumeux. Partout où tu es avec moi il fait beau. Que je te voie, et je suis la plus heureuse des femmes.
Au reste depuis hier j’ai pour divertissement les bredouillements de Suzanne voulant redire après moi la fameuse plaisanterie de Méry sur le comte Roederer [2]. Voici comment Suzanne y parvient : Roederer ton air Roederer redesserre notre père trop expert tu nous perdsa. Ceci avec des yeux fixes et sortis de la tête, et les dents ayant l’air de mâcher du verre cassé. Ce stupide exercice n’a pas manqué une seule fois son effet depuis hier, tant elle y met d’action et de feu et d’impatience. Cet amusement n’est pas beaucoup plus drôle que celui du perroquet d’Antony Deschamps [3], mais cela suffit à me faire rire aux larmes. On n’est pas parfait.
Je t’attends, mon Toto, et je me dépêche d’en finir avec mon ménage pour rester auprès de toi le plus de temps possible. D’ici là, je pense à toi, je t’aime, je t’attends, je t’adore et je te baise de toutes mes forces et de toute mon âme.

Juliette

MVH, α 7997
Transcription de Nicole Savy

a) « perd ».

Notes

[1Il faudra encore une bonne semaine pour qu’Adèle Hugo, qui avait contracté la fièvre typhoïde, soit définitivement hors de danger.

[2La plaisanterie du spirituel Méry reste à élucider. Pierre-Louis Roederer (1754-1835) est un étonnant personnage, jacobin dans sa jeunesse, de tous les partis qui se succédèrent ensuite, auteur d’une œuvre politique abondante, épris sur le tard des salons précieux de l’hôtel de Rambouillet. Juliette peut le confondre avec son fils, le baron Antoine-Marie (1782-1865), qui siégeait à la Chambre des Pairs avec Victor Hugo mais qui semble avoir été moins haut en couleur.

[3Antony Deschamps était ami de Gérard de Nerval, autre amateur de perroquets.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne