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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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11 mars 1848

11 mars [1848], samedi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon cher petit bien-aimé, bonjour autant que je t’aime et autant de choses heureuses pour toi que je voudrais te donner de baisers.
Comment vas-tu ? Toujours bien, toujours plein de courage et de sérénité. En revanche, moi j’ai de la peur pour deux. Je pourrais même en céder beaucoup sans qu’elle en soit sensiblement diminuée. Ce matin je rêvais que la République toute entière s’était installée dans mon jardin et Dieu sait les beaux fruits qu’elle y donnait.
Je peux me vanter de n’avoir jamais été si peureuse depuis que j’existe. Je me rends bien compte du pourquoi et je sens bien que si tu n’étais pas fourré là-dedans cela me serait presque égal. Ma fortune n’est pas tellement scandaleuse qu’elle doive m’exposer beaucoup personnellement et d’un autre côté, j’ai assez de cœur au ventre pour ne pas trembler devant le premier gostapioux venu, même au nom de la liberté, égalité et fraternité et la mort. Mais je t’avoue que dès qu’il s’agit de toi tout m’effraiea et me tourmente au-delà de toute expression.
Je voudrais que tu sois aux grandes Indes avec moi quitte à laisser ma PATRIE se tirer de là comme elle pourrait. Mon patriotisme irait volontiers aussi loin que cela. Il n’y a que la pensée d’être trop près de ce peuple de héros qui me donne la colique. On n’est pas parfait mais je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16366, f. 101-102
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

a) « m’effraye ».


11 mars [1848], samedi après-midi, 4 h. ¼

Sans te commander, je voudrais bien que tu viennes, mon petit homme, car j’ai un besoin inextinguible de te voir. Il y a des moments où mon impatience est telle que je suis prête à aller te trouver bannière en tête, ce serait peut-être la bonne manière de m’y prendre pour agripper quelques minutes de vous. En attendant il tombe des giboulées à tout écraser, ce qui ne me rend pas le cœur plus gai. Je sens même que je tourne à l’aigre et au crétinisme pur. Je ne sais pas ce que cela deviendra pour peu que cela se prolonge encore un peu de temps. Toi seul aurais le pouvoir de me tirer de là mais je te vois si peu que je n’ai pas le temps de reprendre mon équilibre. Quand donc pourrons-nous reprendre nos douces habitudes d’il y a cinq ans ? Hélas, plus nous allons et plus le cercle du bonheur se rétrécit autour de nous. Bientôt il ne sera plus que comme un petit trou d’aiguille par où la pensée même aura de la peine à passer. Je vois venir ce moment avec terreur je l’avoue, et je voudrais le retarder au prix de plus de la moitié de ce qui me reste à vivre ? Tu vois, mon pauvre adoré, combien je suis peu disposée à la résignation et quelle vieille bête de Juju je fais pour le quart d’heure. Je tâcherai d’avoir repris un peu de courage d’ici à ce soir, mais le moyen que j’en aie tout de suite, ce serait de m’apporter ta douce et charmante petite carcasse à baiser sans plus tarder.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16366, f. 103-104
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

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