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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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23 août [1841], lundi soir, 8 h. ¼

Je ne suis pas assez sûre de pouvoir t’écrire après dîner, mon amour, aussi j’aime mieux te gribouiller cette feuille blanche avant de me mettre à table. Le reste se comportera comme ça pourra et j’en serai quitte pour me coucher si ça ne va pas mieux après que j’aurai mangé. Je ne t’ai pas demandé à aller voir Ruy Blas ce soir, quoique j’aurais été ravie d’y aller [1], même avec le mal de tête, mais je te vois si occupé et si préoccupéa, si tourmenté et si affairé que je n’ai pas osé me risquer [2]. Quant aux statuettes, c’est différent, comme cela ne te donne que mal aux nerfs je n’y mets pas la même discrétion et j’ouvre MA GEULE plus grande que jamais pour te dire ces mots peu magiques : – et MES STATUETTES, apporte-les moi [3].
Si tu avais voulu, nous aurions fait une charmante petite fricassée de lapins blancs qui aurait été fort goûtée par tout le monde et qui m’aurait mise au comble de la joie. Mais tu es un vieux dur à cuire qui n’entend ni à hueb ni à dia et moi je suis une pauvre Juju victimec, n’ayant pour toute compensation que quelques rares moments de rire SATANIQUE.
Je voulais vous [pucher ?], non pas l’ail, mais la scène diabolique de ce matin, [dessind] mais j’ai mal pris mes mesures et puis j’ai mal à la tête et puis encore je suis un peu découragée des trois Piranèsee [4] que j’ai admirés tout à l’heure. Il me semble que c’est mieux que moi, ce que je ne croyais pas possible, et entre nous je peux t’avouer cela, cela m’a donné comme un coup de poing au beau milieu du nez, ce qui ne laisse pas que de TUMÉFIER un peu mon amour propre. Je ne te ferai donc de dessin que lorsque j’aurai oublié ceux du susdit et que j’aurai repris confiance en mon talent. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16346, f. 167-168
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « préocupé ».
b) « hu ».
c) « victimee ».
d) Dessin d’un haut bâtiment au mur percé de neuf fenêtres et d’une porte arrondie :

© Bibliothèque Nationale de France

e) « Pyranèse ».

Notes

[1Ruy Blas,a été reprise à la Porte-Saint-Martin le 11 août 1841, avec Frédérick-Lemaître et Raucourt.

[2À ce moment, Victor Hugo se consacre à la rédaction des lettres de voyage de ses futurs volumes du Rhin, de leur conclusion immense et de la préface. Comme Jean-Marc Hovasse le fait remarquer, il tente en parallèle de négocier avec sa société d’édition l’accroissement démesuré de son œuvre en proposant gratuitement la matière d’un troisième volume au prix de deux, mais les banquiers et les négociants préfèrent publier un second tome deux fois plus gros que le premier ; le poète va donc conserver les quatorze dernières lettres en espérant une édition en quatre volumes plus équilibrés, laquelle paraîtra trois ans plus tard. (Victor Hugo, Tome I. Avant l’exil, 1802-1851, Paris, Fayard, 2001, pp. 825-826).

[3Juliette réclamera ces statuettes à plusieurs reprises jusqu’au vendredi 10 septembre au soir, jour où il semble que Hugo les lui amènera enfin.

[4Giovanni Battista Piranesi, dit Le Piranèse (1720-1778) : graveur, peintre et architecte italien. Fasciné par Rome et l’Antiquité, il en isolait et amplifiait les éléments architecturaux, ajoutant à ses œuvres une dimension dramatique et nerveuse.

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