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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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21 août [1841], samedi soir, 4 h. 

J’ai voulu terminer toutes mes affaires, mon Toto, avant de t’écrire pour pouvoir me mettre à TRAVAILLER après sans interruption. J’ai un affreux pressentiment que tu vas à la campagne ce soir [1] et à cause de cela je ne veux pas te faire faire à souper. Je ne veux pas ajouter à la tristesse que j’éprouve déjà la mystification de préparatifs inutiles, j’aime mieux avoir la joie de te voir et le regret de te faire faire un mauvais souper que d’avoir le chagrin de ton absence avec la consolation d’une fricassée pantagruélique.
Je te ferai remarquer, mon enfant, que mes lettres commencent à faire un fumier sur ma table et que je les jetterai très probablement par la fenêtre pour peu que tu tardes encore à les enlever de là. Je ne trouve pas très drôle de me faire la commode de ces chiffons de papier après en avoir été le SECRÉTAIRE, et puis je ne suis pas ton domestique, tu sauras ça.
Ouais, quelle est donc la jeune fille que vous avez entendu chanter du haut du Klopp avec accompagnement de chandelle et d’étoiles filantes [2] ? Heidenloch, heidenlocha, trou des payens [3]. Ia, ia monsire matame, il êdre un vameux plaqueur monsire Dodo et la bauffre bamzelle Chichi lui tonner tes ponnes glacques zur son nez duméfié [4]. Je t’en ficherai des chanteuses au clair de la lune, mon ami Toto, prête-moi ta plume pour écrire un mot : – BLAGUEUR !!! Viens-y pôlisson, tu verras comme je te recevrai avec applaudissements de giffes et de coups de canne.
Il paraît que très décidément vous abandonnez l’infortuné Ruy Blas à lui-même ? C’est encore très spirituel ça et digne de votre magnifique indifférence à l’endroit de vos droits d’auteur [5]. Vous avez bien raison, l’or est une chimère, sachons nous brosser le ventre au soleil. En attendant, Toto est une bête et je ne suis pas son domestique mais je l’aime de toute mon âme, ce qui est stupide.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16346, f. 163-164
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « Heindeloch ».

Notes

[1Pendant l’été 1841, les Hugo ont loué à Saint-Prix, dans le Val-d’Oise, un appartement meublé de la mi-juin à la mi-octobre, et le poète y passe du temps de juillet à octobre pour terminer la rédaction du Rhin.

[2À ce moment, Hugo se consacre à la rédaction des lettres de voyage duRhin et au cours du mois de juillet, il a écrit la lettre XX, « De Lorch à Bingen », dans laquelle il mentionne le Klopp, un vieux château (voir les annexes, annexe XVII).

[3Allusion au voyage effectué avec Hugo, de fin août à début novembre 1840, sur les bords du Rhin et dans la vallée du Neckar. À cette occasion, Hugo visite la ville d’Heidelberg, lieu romantique qui a inspiré de nombreux poètes, et il décrit sa promenade, au clair de lune, sur la Montagne Sacrée, qui l’a conduit jusqu’au Heidenloch, une fosse mystérieuse appelée aussi « Trou des païens ».

[4Hugo a un bouton sur le nez depuis quelques jours.

[5Ruy Blas,a été reprise à la Porte-Saint-Martin le mercredi précédent, le 11 août 1841, avec Frédérick-Lemaître et Raucourt. Concernant plus précisément la remarque sur l’investissement de Hugo, elle fait écho au conseil, que Juliette lui a donné le mercredi précédent au soir, d’aller voir régulièrement ses acteurs « pour les encourager et les stimuler, les directeurs pour les contenir et les empêcher de faire de certaines perfidies ».

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