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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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29 mars 1843

29 mars [1843], mercredi, 12 h.

Bonjour, mon Toto chéri. Voilà déjà bien longtemps que je suis éveillée et que je gribouille dans mon lit : les comptes d’hier, le linge d’aujourd’hui, enfin tous les triquemaques d’une maison. Cela n’en finit pas. Ris tant que tu voudras de mon essoufflementa mais c’est comme ça. Depuis tantôt je compte et je redécompte au milieu des criailleries de Cocotte.
Pauvre adoré, quelle belle représentation que celle d’hier ! D’autant plus belle qu’on sentait grouiller tous ces immondes gredins, qu’on sentait leur fureur et leur rage concentréesb par deux mille intelligences et quatre mille mains admiratives. Il serait à souhaiter que celle de demain fût aussi belle et il n’y a pas de raison pour qu’elle ne le soit pas, quoique jusqu’à présent les bonnes et les mauvaises aient alternéc avec un ordre et une persistance rares. Mais je te l’ai dit, depuis que je sais ce que tu as dans la pensée, je suis très tranquille. À demain donc, mon cher adoré et que le bon goût et le bon droit soient pour nous.
J’ai reçu une lettre de Mme Krafft mais je ne l’ai pas ouverte cette fois-ci. Je n’ai pas eu de distraction.
Jour Toto. Jour mon cher petit o, je vous aime. Tâche donc de m’avoir l’exemplaire de mon pauvre Allemand [1]. J’ai hâte de lui envoyer cet admirable cadeau en le remerciant de son dernier envoid en même temps.
Pense à moi, mon Toto et aime-moi. Tu n’es pas revenu cette nuit et cependant je t’attendais et je te désirais de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16351, f. 269-270
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « essouflement »
b) « concentrés »
c) « alternées »
d) « envoie »


29 mars [1843], mercredi soir, 6 h. ¾

Je suis bien malheureuse, mon Toto, tu es venu tantôt et je n’ai pas pu te voir ni t’embrasser avec mes hideux cheveux qui me couvraient les yeux et la figure. J’espérais que tu reviendrais tout de suite et pas du tout, vilain homme, vous m’avez plantéea là indéfiniment. Je suis très malheureuse et très malencontreuse.
Je t’avais écrit ce matin que j’avais une lettre de Mme Krafft que je n’avais pas ouverte. Depuis j’ai eu sa visite, en personne. Elle venait voir son ex-propriétaire, toujours pour le renouvellement de son bail, et pour prendre son exemplaire s’il avait été prêt. Elle pensait aussi qu’on donnait ta pièce aujourd’hui. Je te préviens d’avance que dans le cas où elle viendrait un jour de représentation pour y aller avec moi le soir, que je lui dirais que je n’ai pas de loge. Tu ferais semblant de ton côté de n’avoir pas pu t’en procurer. Dans ce cas-là, je manquerais ma représentation, le seul bonheur, après toi, que j’aie au monde, pour ne pas lui faire une trop grosse grossièretéb. Je t’en préviens d’avance parce que, n’étant pas averti, tu pourrais dire autrement que moi.
Tu n’es pas gentil mon Toto. Je te vois donner des exemplaires à tout le monde et tu ne m’as pas encore donné celui de ce pauvre Allemand. Toi si bon d’ordinaire, tu ne l’es pas du tout en cette occasion. Encore si vous veniez, si vous restiez avec moi un peu de temps, ce ne serait que demi-mal. Mais je ne vous vois pas, ou si peu, que ce n’est pas la peine d’en parler. Je t’aime trop, monstre.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16351, f. 271-272
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « planté ».
b) « grossièrté ».

Notes

[1Juliette Drouet veut offrir Les Burgraves à son beau-frère Louis Koch , professeur d’allemand.

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