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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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24 mars 1843

24 mars [1843], vendredi, 12 h. ¼

Bonjour, mon Toto chéri, bonjour mon bien-aimé chéri. Comment vont tes yeux ? Le vent et la poussière de cette nuit ne t’ont pas fait de mal, mon pauvre amour ? Moi je vais bien tout à fait ce matin. Le repos de cette nuit m’a beaucoup calmée, je ne sens plus rien du tout. Je suis aussi vite guérie que je suis vite malade. Cela tient sans doute à ma nature impressionnable au physique et au moral.
Voilà encore une magnifique soirée de passée, mon cher bien-aimé, mais il faudrait, comme tu le dis, en avoir trois ou quatre pareilles et de suite pour dégoûter les ennemis de leur odieuse cabale. Mais, comme tu ne peux rien demander à tes amis, il faudra retomber encore dans des représentations troublées et cahotées qui ont eu lieu déjà. C’est triste, de donner gain de cause à d’aussi immondes ennemis mais enfin, il faut vouloir ce qu’on ne peut empêcher. Je suis sûre, par exemple, que si le Beauvallet voulait jouer en conscience, la pièce ne serait pas attaquée du tout. Il est bien malheureux que la vanité féroce de cet histrion et son improbité compromettent à ce point le succès de la plus belle de tes pièces. Pour moi, je ne peux pas penser à cet homme sans être indignée et je ne peux pas le voir jouer sans éprouver des crispations nerveuses. Mais qui est-ce qui aurait pu deviner à l’avance cet étrange avortement d’un des plus beaux rôles d’homme qui soient au théâtre ? J’avoue, pour ma part, que jamais je ne me serais figurée une aussi complète extinction d’un rôle de la part de ce Beauvallet. Il a plus mal joué celui de Job qu’il n’a jamais bien joué ceux des rôles dans lesquels il avait du succès. Aussi, il ne me semble pas possible qu’il n’y ait pas de perfidie et de trahison basse dans son insuffisance. Je t’engage à t’en bien défier pour l’avenir. Certes, il aurait été moins dangereux d’avoir, tout d’abord, un talent médiocre mais honnête que ce prétendu grand acteur que la vanité rend stupide et que l’insuccès rend traître. Mais je m’aperçois, mon Toto, que je te donne des conseils à tort et à travers. Le désir de te voir bien jouéa, l’amour sans borne que j’ai pour toi m’emportent toujours plus loin que je ne voudrais. Je t’en demande pardon, mon Toto chéri, et je baise tes pieds.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16351, f. 253-254
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « jouer »


24 mars [1843], vendredi après-midi, 4 h.

Que tu es bon, mon adoré, de t’occuper de moi à ce point. Tu m’aimes donc ? Tu ne voudrais pas que je meure, n’est-ce pas ? Tu ne pourrais pas te passer de mon amour si tendre, si dévoué, si admiratif et si passionné, n’est-ce pas mon Toto ? N’aie pas d’inquiétude, mon cher adoré, je ne suis pas malade et la petite indisposition que j’ai ressentie ces jours-ci est déjà dissipée. Je te promets d’ailleurs de faire venir M. Triger tout de suite si je sentais le moindre symptôme sérieux. Je veux vivre moi, mon Toto m’aime !Le mal de tête que j’éprouve n’est pas autre que le mal de tête dont je souffre depuis que j’ai l’âge de connaissance et dont on peut voir les traces [griffogneuses  ?] sur ma pauvre tête. Si tu peux me faire sortir tantôt, l’air et le bonheur d’être avec toi me guériront tout de suite.
Je n’ai pas eu le temps de te demander tout à l’heure si tu avais vu des femmes au théâtre ? Il me semble difficilea, puisque tu y rencontres des hommes, que tu n’y voies pas de femmes. Il y a longtemps que tu ne m’as parlé de ces rencontres, je commence à m’en apercevoir à présent. Dès que je vous verrai, je vous demanderai dans le blanc des yeux où vous en êtes avec toutes ces péronnelles de la Comédie-Française ? Je ne veux pas vous laisser aller comme ça avec toutes ces faumes sansb m’informer où vous en êtes avec elles. Tu dois t’apercevoir, mon Toto, que j’ai bien mal à la tête par la stupidité renforcée de mes lettres. Excepté que je t’aime, je ne sens rien, je ne vois rien, je ne peux rien. Je suis aplatiec et absorbéed par cet affreux mal de tête. Plains-moi mon Toto et tâche de venir me prendre pour sortir.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16351, f. 255-256
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « difficille ».
b) « s’en ».
c) « applatie ».
d) « absorbé ».

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