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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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18 mars 1843

18 mars [1843], samedi matin, 11 h. ¾

Bonjour, mon Toto chéri, bonjour, mon adoré, comment vas-tu, mon cher petit homme, ce matin ? Comment vont tes pauvres yeux, mon Toto ? As-tu pris quelque repos cette nuit ? Il serait bien nécessaire que tu consultasses un oculiste, mon cher adoré, pour savoir où en sont tes yeux et ce qu’il y aurait à faire pour les guérir. Il me semble, mon Toto chéri que, quelles quea soient les affaires qui t’occupent et qui t’intéressent, tes yeux doivent passer avant tout. Peut-être n’y a-t-il presque rien à faire pour les calmer mais encore faut-il le savoir et c’est pour cela, mon Toto bien-aimé, que je te prie de consulter M. Louis ou un médecin spécial pour ce genre de maladie.
Je t’aime, mon Victor. Je suis exaspérée quand je vois de stupides crétins et d’infâmes canailles s’attaquer à toi. Et dans quel moment, mon Dieu ! celui où tu es le plus grand, le plus sublime et le plus divin des hommes et des poètes ! C’est un acte d’audace aussi révoltant que ridicule et pour lequel on n’a pas assez de colère et de mépris. Je voudrais les tenir tous et leur tremperb le nez dans la ….. moins fétide et moins bête qu’eux encore. Je suis revenue furieuse et indignée hier au soir. J’en ai rêvé toute la nuit. Je ne sais pas si c’est cela qui m’a donné mal à la tête mais je n’y vois pas ce matin. Ajoute que j’ai une affreuse cocotte qui pousse d’affreux cris qui me fendent la tête, une imbécile de servarde qui vient de me briser un des lions fantastiques en terre que tu m’avais donnés il y a bientôt un an, plus la nécessité atroce de tailler quatre plumes et tu auras une idée de ce que je dois souffrir dans ce moment-ci. Ce serait le moment de me mettre face à face avec tes ennemis. Je te réponds qu’ils en verraient de drôles. Juju tourbillon de griffes leur montrerait son savoir-faire en ce genre.
On vient de sonner chez moi pour une quête en faveur des orphelins. Suzanne a répondu que je n’étais pas visible et elle a bien fait. D’ailleurs, avec les filous et les voleurs qui courent, on ne peut pas se fier à ce genre de réclamations. Cependant, s’ils reviennent et si tu le crois nécessaire, je donnerais ce que tu voudras. En attendant, mon cher adoré, je te donne ma pensée, ma vie, mon cœur, mon âme.
Je t’aime, je t’attends et je te désire. Tâche de trouver un petit moment dans la journée pour venir m’embrasser, cela me guérira ma tête et cela me mettra de la joie et du bonheur dans le cœur. Apporte-moi la lettre de Didine [1] si tu peux. J’en aurai bien soin, je la mettrai avec les deux autres. Je serai le monstre, le dragon qui gardera ton trésor. Je ne puis guère être autre chose à présent. Il faut m’apporter cette lettre et toutes celles que tu recevras plus tard. Entends-tu, mon cher petit et puis, il faut m’aimer un peu, moi qui t’aime de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16351, f. 241-242
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette
[Blewer]

a) « quelque soient ».
b) « trempé ».

Notes

[1Comme le note Evelyn Blewer dans son édition, Léopoldine habite Le Havre depuis son mariage.

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