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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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21 février [1843], mardi matin, 10 h. ½

Bonjour, mon Toto bien-aimé, bonjour, mon cher amour adoré, comment vas-tu ce matin ? Ton pauvre cœur est-il moins triste et tes pauvres yeux moins malades ? J’ai rêvé de toi toute la nuit, mon cher amour, mais je n’ai vu ni sang ni feu ni flamme et cependant nous avions été bien heureux quelques heures auparavant. Il est vrai que les prophéties ne doivent pas être pour le passé mais pour l’avenir et à ce compte-là je ne suis point étonnée de n’avoir pas fait de bons rêves.
Tu vois que j’ai raison, mon amour, quand je veux te ramener aux anciennes traditions de notre amour. Est-ce que nous n’avons pas été heureux hier dans cette heure passée dans les bras l’un de l’autre comme il y a dix ans ? Qui est-ce qui nous empêche de l’être tous les jours comme nous l’étions alors ? Ce n’est pas moi certainement. La preuve, c’est que je te l’ai demandé souvent et que je te le demanderai encore plus à présent dans l’espoir que le souvenir d’hier t’encouragera à recommencer.
Je continue à ne pas aller aux répétitions, malgré le désir que j’en ai. J’attends que tu me dises quand je pourrai passer à coup sûr et sans te contrarier. Je compte sur ta bonne foi pour me le dire en temps utile, mon cher bien-aimé. Baise-moi. Ne sois pas triste si tu peux. Pense à moi qui t’aime tant.
Ah ! mon Dieu, voilà une lettre de cette hideuse Ribot. Je l’ai ouverte pour savoir de quoi il était question. Voici ce qu’elle me mande : qu’elle enverra chez moi pour recevoir les acomptes que je pourrai économiser jusqu’à ce que ce monsieur lui ait réglé son compte et donné de l’argent. Elle enverra toutes les semaines le jeudi parce qu’il est un terme à tout. On n’est pas plus impudente que cette vieille coquine. Enfin il faut bien en passer par ses exigencesa puisque tu y as consenti. Le plutôt sera le mieux. Quand tu auras un moment, je te lirai les projets d’acte et nous les mettrons à exécution si tu les trouvesb bons.
En attendant, je t’aime mon Toto, et je voudrais que tu ne sois pas triste et que tu m’aimasses.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16351, f. 167-168
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « exigeances ».
b) « trouve ».


21 février [1843], mardi soir, 8 h. ¾

Je n’avais juste que le papier nécessaire pour écrire à Mme Pierceau et à la hideuse RIBAUDE [1]. C’est ce qui fait que je t’écris si tard, mon amour, c’est que je viens d’en envoyer chercher un cahier. Tu devrais tâcher de penser à m’en apporter d’autre avant que celui-ci ne soit usé. Tu ne peux pas te figurer, mon cher adoré, à quel point j’ai horreur d’écrire pour autre chose que pour te dire combien je t’aime. C’est une antipathie presque insurmontable pour moi. Aussi ce soir, tant que ces deux gribouillis n’ont pas été faits, j’étais comme une enragée. Maintenant je n’y pense plus et je me moque de moi à tire-larigota.
Ce dont je ne me moque pas, c’est de ne pas aller voir Lucrèce ce soir. Et je n’irai pas car voilà l’heure possible d’y aller qui s’avance. Mon pauvre amour, je sais bien que ce n’est pas ta faute mais depuis trois ans que je sais cela, ça commence à me paraître bien monotone. Je ne veux pas tomber dans mes rabâcheries habituelles. J’aime mieux te parler d’autre chose. Du parapluie de Suzanne par exemple. Je te recommande de ne pas le perdre et de ne pas le laisser tomber dans la crotte si tu peux. Il faut qu’elle t’aime diantrement bien mieux qu’elle-même pour te prêter son parapluie car jusqu’à présent elle ne s’en était pas encore servi et il y a trois ans qu’elle l’a !!!!!b Il faudra du reste que lorsque tu en achèteras un pour toi, nous en achetions un pour la cuisine car voilà longtemps qu’elle me tourmente pour que je lui en achète un.
Je voudrais être à demain pour que tu aies reçu des nouvelles de Didine et pour que tu sois tranquille. Mon cher bien-aimé, je ne serai moi-même tranquille et heureuse que lorsque ta chère petite figure sera plus épanouie et plus gaie qu’elle ne l’est dans ce moment-ci ! Je t’aime, mon Victor adoré. Je t’aime, tu le sais bien n’est-ce pas ? Je donnerais ma vie pour toi et pour tous les tiens. C’est bien bien vrai, le bon Dieu le sait. Ne sois donc pas triste mon adoré.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16351, f. 169-170
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « tirelarigo ».
b) Les points d’exclamation courent jusqu’au bout de la ligne.

Notes

[1Jeu de mots sur la Ribot.

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