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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 26 juin 1856, jeudi après-midi, 1 h.

Je suis consternée et presque au désespoir, mon pauvre adoré, de la lettre que je reçois de la mère Lanvin car il est présumable que tout ce qui nous intéressait et qui avait quelque valeur chez moi est anéantia ou au moins bien endommagé par l’excès de zèle de cette brave femme plus empressée qu’intelligente [1]. Figure-toi qu’elle a pris sur elle de faire commencer les travaux de tapissiers et d’emballeurs sans attendre l’arrivée de Suzanne sous prétexte qu’il faut rendre l’appartement le 20 juillet, dernier délai consenti par la propriétaire. Pour cela elle s’est ingéré de faire commencer le déménagement par les panneaux ! dans un salon encombré de meubles comme le burgau [2], la table d’étain, les fauteuils dorés ! etc. C’est à dire par ce qui devrait être enlevé tout en dernier pour avoir l’espace libre et les mouvements à l’aise. Sans compter que tu avais des indications spéciales à donner sur cet emballage-là en particulier. Maintenant autre chose encore : elle a fait enlever les tapis du salon et de la chambre à coucher sans penser que toutes les armoires étaient remplies de porcelaines et de choses fragiles, le burgau entre autresb. Si bien qu’à l’heure qu’il est je n’ai peut-être plus que de la poussière de tessons. Tout cela pour devancer Suzanne d’une huitaine de jours. Mais alors à quoi bon envoyer Suzanne si on devait aller de l’avant et au hasard comme on vient de le faire ? Voilà ce que le plus simple bon sens devait indiquer, ce me semble, avant de commencer et de faire des sottises peut-être irréparables. Je pleure, mon pauvre adoré, je pleure de rage car mes regrets sont impuissants et ne peuvent remédier à rien. Parmi toutes les stupidités que je pouvais craindre, celle-là était certainement la dernière. C’est hier pendant que nous visitions ta belle maison et que je convoitais la charmante petite niche [3] qui est à côté, que ce beau chef-d’œuvre s’est accompli ; et penser qu’il n’y a aucun moyen de l’empêcher, c’est à se cogner la tête contre le mur de désespoir. Je suis si malheureuse et si honteuse que ce désastre se fasse en mon nom que je n’ai pas le courage de te parler de mon pauvre cœur et que je n’ose même pas te baiser tant je suis humiliée et navrée.

BnF, Mss, NAF, 16377, f. 182-183
Transcription de Chantal Brière

a) « anéantie ».
b) « entr’autre ».

Notes

[1Juliette fait emballer meubles et objets qui étaient restés dans son logement, cité Cordier.

[2Nom d’un coquillage univalve et de la nacre qui en provient. Juliette désigne ainsi un meuble précieux incrusté de nacre.

[3Hugo a acheté le 16 mai 1856 Hauteville House et Juliette souhaite trouver un logement proche de cette maison.

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