4 mai 1856

Guernesey, 4 mai 1856, dimanche midi

Tu souffres et je ne peux pas l’empêcher, mon pauvre petit homme. À quoi sert donc mon amour s’il ne peut même pas s’opposer au moindre petit mal qui t’arrive ? Cette impuissance n’est pas seulement humiliante. Elle est triste pour mon âme dont la plus grande ambition et le plus grand bonheur seraient de se dévouer à toi jour et nuit pour t’épargner tous les maux et tous les ennuis de cette vie. C’est une faculté que le bon Dieu aurait dû laisser à l’amour que de se substituer dans les souffrances physiques^b et morales à la personne aimée. Comme d’habitude je m’exprime mal mais je me comprends bien et je sais que je voudrais avoir ton bobo aujourd’hui et que tu ne l’aies pas eu. Mais puisque cela ne se peut pas, tâche au moins de ne pas l’augmenter, ce bobo, en t’exposant au vent et à l’humidité car rien n’est plus mauvais pour ce genre d’indisposition. Pour cela il ne faut pas aller sur le siège du cocher et ne pas vous attarder trop longtemps dans les chemins ce soir, mon cher petit homme, couvre-toi bien car la chaleur est un des principaux préservatifs contre toutes espèces de douleurs. Tâche aussi de venir me voir ce soir, pense à moi, regrette-moi, plains-moi et aime-moi pour que nos deux âmes ne se perdent pas de vue pendant cette longue absence. Amuse-toi aussi un peu, mon cher petit homme, et surtout ne fais pas d’imprudence d’aucune sorte pas même les JAMBES des fâmes.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16377, f. 136
Transcription de Chantal Brière

a) « serait ».
b) « phisiques ».