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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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12 juillet [1847], lundi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon Victor, bonjour mon doux aimé, bonjour. Me voilà débarrassée de ma corvée [1] et je n’en suis pas fâchée. Du reste je ne sais pas si c’est à la chaleur ou aux politesses exagérées de ces vieilles péronnelles qui m’ont forcée d’avaler des sucreries que je déteste et qui m’ont fait boire chaud, mais j’ai été malade toute la nuit et ce matin je m’en sens encore. Heureusement qu’en voilà pour longtemps. Si vous étiez bien conseillé vous me donneriez l’île Saint-Denis ou les Marronniers [2] pour rabiboche aussitôt le procès Cubière [3] fini. Je vous le demande mais je ne l’espère pas. Je sais si bien tous les empêchements qui s’y opposent. Cela ne m’empêche pas de vous aimer de toutes mes forces mais cela m’empêche beaucoup d’être GEAIE et heureuse comme vous le désirez et comme j’en aurais le droit. Quand nous serons vieux tous les deux, encore PLUS VIEUX, vous regretterez de n’avoir pas mieux profité de cette belle saison de l’amour et du bonheur mais il ne sera plus temps, hélas !
Mon pauvre adoré, mon bel amant bien-aimé, je t’aime plus que tout ce que tu peux rêver et souhaiter de plus pur, de plus tendre et de plus ardent. Je t’aime comme une mère, comme une femme, et comme une sainte. Au besoin je donnerais ma vie pour toi sans hésiter et avec joie. Je suis capable de te tuer dans un accès de jalousie et je me prosterne devant ta sublime et divine nature comme les anges devant Dieu. Ô je t’aime mon Victor.

Juliette

MVH, α 7936
Transcription de Nicole Savy


12 juillet [1847], lundi après-midi, 2 h.

Tu n’as pas pu venir avant d’aller à la Chambre, mon cher petit homme, ce qui fera que je te verrai encore bien peu aujourd’hui. Je ne t’accuse pas, je me plains de mon peu de chance, voilà tout. Qu’as-tu fait dans toute ta soirée hier, mon Toto ? As-tu pensé à moi malgré la présence d’Abou-Maza [4] ? Quant à moi, j’avais des raisons plus fortes que ton Turc pour ne penser qu’à toi et pour te désirer. Si jamais femme a eu chaud, a mangé à contre-cœur et s’est ennuyée, c’est votre très humble Juju hier à ce stupide et fadasse dîner. Aussi je me suis bien promisa de n’en pas accepter de pareil de longtemps. J’en suis encore tout écœurée aujourd’hui. J’espère que ce sera passé pour tantôt.
Mais je m’aperçois que je ne fais que gémir sur mes infortunes, tandis qu’il serait plus juste de m’apitoyer sur ton compte car tu dois beaucoup souffrir, outre les émotions pénibles que te donne ce triste procès, de la chaleur, du manque d’air et de la privation de marcher, toi dont c’est la santé. Pourvu que cela ne te tourne pas à mal et que tu ne sois pas malade à l’issue de ce procès, c’est tout ce que je demande. Pour cela il faut que tu sois prudent et que tu ne te fatiguesb pas trop à travailler la nuit. C’est bien assez de suivre les séances. C’est beaucoup trop même. Pense à moi dont tu es la vie et sois prudent. Je t’aime. Je te baise. Je t’adore.

Juliette

MVH, α 7937
Transcription de Nicole Savy

a) « promise ».
b) « fatigue ».

Notes

[1Le dîner chez Mlle Féau, annoncé dans les lettres précédentes.

[2Les Marronniers était un restaurant réputé de Bercy.

[3Juliette fait allusion à l’affaire Teste et Cubières. Victor Hugo, passionné par les questions judiciaires et pénales, a participé aux séances du procès de ces deux anciens ministres, accusés et condamnés pour corruption financière par la Chambre des Pairs constituée en Haute Cour.

[4Abou-Maza était l’un des principaux chefs de tribu de la résistance à l’armée coloniale française en Algérie, aux côtés d’Abd-el-Kader, pendant cette période où Bugeaud, gouverneur, et le général Lamoricière menèrent une guerre d’une grande violence. Il était peut-être d’origine turque, comme beaucoup des grandes familles qui comptèrent des chefs militaires.

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