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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 29a octobre [18]64, samedi matin, 7 h.

Tu t’es laissé devancer par mon collègue le soleil, mon cher bien-aimé, lequel s’étire et baille depuis un bon quart d’heure en clignant de l’œil sur l’horizon. Eh bien je t’approuve et je suis heureuse de sentir que tu ronronnes moelleusement dans ton bon petit lit en pensant à moi peut-être et en me regrettant un peu pendant que je dresse procès-verbal de tous ces faits qui intéressent mon cœur au plus haut point. Du reste, je suis revenue moi-même me refourrerb dans mon dodo bien chaud après avoir constaté l’absence de ton cher petit signal et l’état de l’atmosphère. Tout est bien si tu te portes bien et si tu m’aimes. Je te souris et je t’adore.
Il y a juste aujourd’hui huit jours et presque à pareille heure que nous nous embarquions à Ostende [1] pour revenir ici. Il faisait à peu près le même temps que ce matin mais, au lieu d’avoir la sécurité et la joie de l’arrivée j’avais l’anxiété et le malaise préventifs du départ et du mal de mer, ce qui n’est pas la même chose, AU CONTRAIRE. Enfin nous voici de retour dans NOS FOYERS et j’en suis bien heureuse. Je ne peux pas dire que je t’aime plus ici et que j’y sois plus heureuse qu’ailleurs parce que mon amour et mon bonheur c’est toi et que là où tu es mon âme et ma vie y sont mais le point culminant du beau, du bon, du doux, du charmant et du lumineux c’est toujours notre cher petit Guernesey. Tu y esc plus grand et tu y resplendis plus que partout ailleurs. Ce rocher est le Sinaï de ton génie et les nouvelles tables de la loi qu’il y a écrites seront plus civilisatrices et feront plus de bien au genre humain que toutes celles de tous les Moïses passés. Je n’ai pas qualité pour te dire cela, mon sublime adoré, mais mon admiration et ma reconnaissance me donnent toutes les audaces de paroles et de plume. Je n’ai jamais honte de mon ignorance et de ma pauvreté d’esprit devant toi pas plus que je ne l’ai devant Dieu car ces deux misères ne sont pas de mon fait et ne peuvent m’être comptés pour faute. Je t’aime de toute mon âme et j’adore Dieu à travers toi. Je vous bénis tous les deux à tous les instants de ma vie et j’espère en toutes vos promesses.

J.

BnF, Mss, NAF 16385, f. 220
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

a) « 30 » corrigé en « 29 » d’une autre main.
b) « refourer ».
c) « tu y est ».

Notes

[1Leur voyage annuel avait débuté le 15 août.

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