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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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24 octobre [1838], mercredi matin, 11 h. 30

Bonjour, mon cher petit homme adoré, bonjour. Tu n’es pas venu cette nuit, ni l’autre, ni l’autre, ni les autres. Je trouve cela bien long et bien triste, d’autant plus triste que j’attribue ton absence à mon mauvais caractère et à ma méchanceté. Je dis cela du fond de mon pauvre cœur triste et malade et avec la conviction que ce n’est que trop probable. Je fais cependant bien des efforts pour être autrement, mais inutilement, et le chagrin que j’en ressens me rend encore plus irritable et plus maussade. C’est égal, j’essaierai encore, cela me réussira peut-être mieux cette fois-ci.
Bonjour mon cher adoré, comment vont tes beaux yeux ? Comment vas-tu ? J’ai beaucoup de pavots à faire aujourd’hui. Je suis un peu en retard, aussi je vais me rabibocher tantôt dare-dare.
J’ai un enterrement dans ma rue ce matin. Tout le monde y meurt comme des mouches dans ma rue. Ce sera bientôt mon tour. Au moins si cela arrive très prochainement, tu n’auras pas eu trop le temps de te dégoûter de ta vieille et méchante Juju. Aussi je le désire car j’aime mieux mourir regrettée par toi que de vivre sans ton amour. Il vaut mieux une pierre plate sur la tête et l’amour de son Toto, qu’un oreiller moëlleux dessous sans son amour. C’est peut-être très bête ce que je dis là, mais très [illis.].

Juliette

BnF, Mss, NAF 16336, f. 81-82
Transcription d’Élise Capéran assistée de Florence Naugrette


24 octobre [1838], mercredi soir, 6 h. 45

Je suis triste et jalouse mon adoré, non pas de ci ou de ça mais de tout. Je suis jalouse au fond de l’âme. Je sens bien que tu m’aimes moins qu’autrefois. Je ne peux pas dire comment, mais je le sens à la tristesse de mes pensées, à l’inquiétude insurmontable que j’éprouve. À présent ce n’est plus moi qui passe avant toute chose et avant tout le monde. J’arrive toujours la dernière dans ta pensée et, quelquefois même, je n’arrive pas du tout parce que tu me laisses en route sans te soucier davantage de ce que je deviens car tu es si sûr que je t’aime que tu t’inquiètes peu si je suis heureuse. Je t’aime, cela te suffit. Je ne suis pas, comme tu vois, dans une disposition d’esprit bien gaie, je sens mon mal aujourd’hui plus vivement que les autres jours. Cela tient à notre atmosphère qui est chargée d’ennui, d’absence, de jalousie et d’indifférence. Tout cela pèse sur mon cœur et l’étouffe.
J’ai reçu une lettre de Mme Kraft que j’ai ouverte parce que j’ai senti la petite croix au travers, la petite croix promise depuis plus de six mois. J’espère que tu me feras une scène atroce pour n’avoir pas su résister à ma curiosité, mais j’aime mieux la subir que de te rien cacher. D’ailleurs une injustice de plus ou de moins c’est peu de chose sur le nombre de celles que j’ai supportées plus ou moins courageusement.
Je t’aime va, si tu pouvais, de quelle manière tu quitterais tout pour venir m’aimer et me consoler. Je t’aime, je t’aime.

BnF, Mss, NAF 16336, f. 83-84
Transcription d’Élise Capéran assistée de Florence Naugrette

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