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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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12 août [1838], dimanche après-midi, 1 h. ¼

Il y avait quinze jours, mon adoré, que vous n’étiez venu déjeuner avec moi, aussi Dieu sait quel appétit j’avais de vous. Je vous aurais avalé comme une cerise si vous n’aviez pas eu de queue. C’est pour le coup que la précaution du petit Toto [1] était bonne : Ze ne sait pas si j’ai une queue mais ze veut pas comme la coupeb.
Je m’aperçois que j’ai pris mon papier à l’envers. Heureusement que mon amour est à l’endroit et que vous vous y retrouverez tout de même. J’ai une plume hideuse. J’aimerais autant écrire avec une tête de pavot, j’en viendrais mieux à bout. En parlant de tête de pavot, en voilà pour quinze sous qui m’arrivent. Dieu sait dans quel état seront mes doigts quand je les aurai toutes broyées. Mais le bonheur d’être avec vous huit jours me magnétise au point que je ne sens plus aucun mal [2]. Je vais écrire à la mère Krafft si elle peut me prêter un vieux chapeau, ça nous fera toujours une petite économie, et peut-être un jour de plus de bonheur ? Quelc miracle que ta pièce, mon pauvre bien-aimé, et que tu es bon de me l’avoir fait admirer la première [3]. Jamais je n’avais rien entendu d’aussi magnifique. Je n’en excepte même pas tes autres chefs-d’œuvre. C’est une richesse, une magnificence, un éblouissement dont on ne peut pas se faire une idée avant de l’avoir entendue. C’est miraculeux. Malheureusement, mon esprit en est encore plus obscurci, comme quand les yeux ont trop longtemps fixé le soleil il reste des tâches noires devant les yeux [dessind] comme cela. C’est ce qui m’arrive : j’y vois moins que jamais. Je suis bête comme une oie et si ce n’était mon amour qui me tient lieu de chandelles et de lumière, je n’y verrais plus du tout. Oh ! mon beau soleil, vous m’avez aveuglée pour longtemps. Je ne vois plus rien que vos rayons qui me brûlent au dedans, au dehors de moi, tout ce qui n’est pas vous est noir. Je m’aperçois que j’ai écrit une grande feuille de papier de plus que votre comptee, mais vous n’êtes pas forcé de la lire. Je t’aime.

Juliette

Collection Claude de Flers (juin 2013)
Transcription de Florence Naugrette
[Massin]

a) « veut ».
b) Toutes les fautes sont volontaires, y compris « comme la coupe » pour « qu’on me la coupe ».
c) « Quelle ».
d) Deux tâches noires sont dessinées.
e) Exceptionnellement, la lettre fait en effet six pages, une feuille simple recto/verso étant ajoutée à la traditionnelle feuille de quatre pages pliée en deux.

Notes

[1S’agit-il d’un mot d’enfant prononcé par François-Victor ?

[2Du 18 au 28 août, Victor Hugo et Juliette Drouet feront un voyage en Champagne.

[3Victor Hugo a achevé l’écriture de Ruy Blas la veille à 19 h., et en a réservé la première lecture à Juliette.

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