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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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8 mai 1836

8 mai [1836], dimanche soir, 6 h.

Ce n’est pas le cas aujourd’hui de ne pas t’écrire, mon cher adoré Toto, au contraire, je veux te faire une prime d’une lettre en plus pour te donner une idée du bonheur que j’ai eu dans cette trop courte nuit et trop courte matinée que nous avons passées l’un à côté de l’autre. Seulement je crains, mon cher bien-aimé, que tu ne me fasses payer le bonheur de tantôt avec celui de ce soir, ce qui serait bien cruel. Mais quoi qu’il arrive, je me dépêche de te dire que j’ai été la plus heureuse femme du monde. Ce matin, il me semblait être revenue au temps des répétitions de Marie Tudor où nous déjeunions presque tous les jours ensemble. Il me semblait sentir le fumet du bonheur qui chauffe peut-être pour nous d’ici à un mois à Coutances et autres lieux pareillement beaux et intéressantsa [1]. Enfin, mon cher adoré, j’étais très heureuse dans le présent et dans l’avenir, car il me semblait voir que tu m’aimais encore un peu de l’amour D’AUTREFOIS et que je croyais bien prèsb de s’éteindre pour ne plus revenir. Oui, mon pauvre ange, j’ai le malheur de douter quelquefois de ton amour. Et je suis bien à plaindre, va. J’attribue à ta loyauté à l’habitude de me voir les courts moments que tu passes auprès de moi et le dévouement sublime que tu me voues. Eh ! bien aujourd’hui je crois que tout ce que tu fais pour moi c’est par amour, que toutes les minutes que tu me donnes, c’est autant d’amour. Et je suis bien heureuse.

J.

BnF, Mss, NAF 16327, f. 29-30
Transcription d’Isabelle Korda assistée de Florence Naugrette

a) « intéressant ».
b) « prêt ».


8 mai [1836], dimanche soir, 6 h. ¼

Cher adoré, il me prend un remordsa en pensant à tes pauvres yeux malades. Eh ! bien, ne lis pas ces lettres ou du moinsb que la première ligne de la première lettre et la dernière ligne de la dernière lettre car depuis la première lettre de l’alphabet que je gribouille jusqu’à la dernière lettre, c’est toujours la même chose que je dis et que je veux dire : JE T’AIME.
Tu vois donc bien, mon cher bien-aimé, que tu peux te passer de fatiguer tes chers petits yeux malades et je ne t’en saurai pas mauvais gré.
Depuis que tu m’as quittéec, mon cher petit Toto, je me suis levée, peignée et débarbouillée et habillée, j’ai rangé mon linge, j’ai taillé mes plumes, c’est-à-dire que je ne me suis occupée que de toi, je n’ai pensé qu’à toi. Pauvre petit homme, comment va ta jambe ? J’espère que tu en auras pitié et que tu ne la fatiguerasd pas trop. Moi, je continue mon mal de têtee avec une persévérance digne d’une autre occupation. Je bois toujours comme un trou et de manière à noyerf tous les CALCULS DE BARÊME. Si je n’y réussis pas, ce ne sera pas ma faute et je pourrai avec raison jeter la PIERRE au médecin ignorant qui m’aura conseillé le traitement.
Je t’aime, toi. Voici venir l’heure où je vais être bien triste et bien malheureuse si tu ne viens pas. Mais sois sûr toujours que je t’aime du fond de mon âme.

J.

BnF, Mss, NAF 16327, f. 31-32
Transcription d’Isabelle Korda assistée de Florence Naugrette

a) « remord ».
b) « ne lis » raturé.
c) « quitté ».
d) « fatiguera ».
e) « têt ».
f) « noier ».

Notes

[1Du 15 juin au 21 juillet, ils feront un voyage en Normandie et en Bretagne, au cours duquel elle reverra Fougères, sa ville natale.

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