16 décembre 1860

Guernesey, 16 décembre 1860, dimanche, 8 h. du soir

Je me repens^a presque, mon pauvre bien-aimé, de n’avoir pas envoyé chercher le médecin, comme c’était ton avis tantôt, en voyant la persistance de ton mal de gorge [1], lequel s’obstine bien mal à propos à rester stationnaire pendant que notre impatience le voudrait voir à tous les diables. J’espère pourtant que le sinapisme^b de ce soir le forcera à battre en retraite et je compte sur la seconde dose de pilule^c pour t’en débarrasser tout à fait. Cependant si demain matin tu n’éprouvais pas un mieux très sensible il ne faudrait pas hésiter à envoyer chercher le docteur Corbin. Mais d’ici-là tu as le temps de souffrir beaucoup. Qu’est-ce que je pourrais donc faire, mon pauvre doux adoré, pour assoupir et pour diminuer ton mal ? S’il ne s’agissait pour cela que de t’aimer de toutes mes forces, de tout mon cœur et de toute mon âme, il y a longtemps déjà que tu serais guéri et même que tu n’aurais jamais été souffrant. Mais l’amour le plus tendre et le plus dévoué ne peut pas même empêcher une égratignure d’épingle à la personne la plus adorée, c’est ce qui fait que tu souffres, mon pauvre petit homme, et que je t’aime sans aucune utilité que de t’aimer, de t’aimer, de t’aimer.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16381, f. 322
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette

a) « repends ».
b) « cinapisme ».
c) « pilulle ».