Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1846 > Juin > 28

28 juin 1846

28 juin [1846], dimanche soir, 10 h.

Je t’écris bien tard, mon Victor adoré, mais je ne m’en excuse pas car je n’ai pas cessé un moment de penser à toi, de parler de toi, de t’aimer, de t’admirer et de t’adorer, tout cela entremêlé du souvenir de ma pauvre chère enfant à laquelle je pense sans cesse. Eugénie est restée seule avec moi jusqu’à présent. Les petites Rivière sont parties tout de suite après toi. Avant j’avais reçu la visite de ma propriétaire, visite de politesse et de condoléances, voilà tout, et qui ne m’a pas autrement touchée. Dans ce moment-ci, j’aimerais à être totalement seule avec toi. Je ne trouve de douceur et de consolation qu’en toi. Tout le reste m’est plutôt pénible que consolant.
Cher adoré, j’ai lu ton discours [1] et je l’ai compris ce qui, vu l’état de mon pauvre esprit et l’ignorance de la chose dont il est question, n’était pas une chose facile pour moi. C’est un des privilèges de ton génie, mon bien-aimé, de rendre tout compréhensible et charmant, même aux intelligences les plus obtuses et les plus engourdies. Je t’en remercie pour ma part de toutes mes forces et de tout mon cœur.
J’espérais, en commençant ce gribouillis, que tu viendrais l’interrompre et que j’aurais le bonheur de ne l’achever qu’après ton départ. Mais, hélas ! je suis déjà plus d’à moitié et tu n’es pas encore venu. Je tremble que tu ne sois retenu chez toi très tard et que tu aies le scrupule féroce de ne pas vouloir troubler mon sommeil, autrement dire de vouloir que je ne dorme pas du tout de la nuit. J’en ai plus peur qu’envie, et cette crainte me préoccupe au point de ne pouvoir pas penser à autre chose. Cependant je sais combien tu es bon et je sens combien j’ai besoin de te voir, toute chose qui devrait me donner de la confiance et de l’espoir. Cependant je regarde la pendule et je désespère et j’ai toutes les peines du monde à retenir mes larmes. Si tu savais ce que c’est pour moi que le bonheur de te voir, mon Victor adoré, tu comprendrais la vivacité de mes regrets et de mon chagrin, chaque fois que je manque une occasion de te voir, pour quelque cause que ce soit. Je t’aime trop, mon Victor chéri. Ce n’est pas une banalité que je te dis là, c’est la sainte vérité. Je t’aime trop mais je ne pourrais ni ne voudrais t’aimer moins. Mon amour, c’est ma vie.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16363, f. 185-186
Transcription de Marion Andrieux assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Le 27 juin 1846, Victor Hugo prononce son premier discours sur la consolidation et la défense du littoral à la Chambre des Pairs.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne