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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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19 avril [1836], mardi matin, 10 h.

Bonjour mon cher adoré, comment que ça va, mon petit homme chéri ? Je t’aime plus encore aujourd’hui qu’hier et plus encore hier qu’avant hier, du moins je me le figure ; car il est probable que déjà le premier jour où je t’ai eu vu je t’aimais comme je t’aime à présent. Souviens-toi du soir du masque de fer et du JE T’AIME. Il y a de cela trois ans. Eh ! bien, c’est le même JE T’AIME que je te dis aujourd’hui.
Je te trouve beau, permets-moi de te le dire. Si tu m’en empêchais, je ne saurais que te dire car c’est la seule préoccupation de ma vie. Toi présent, toi absent, ce que je vois, ce dont je me souviens : c’est que tu es beau, c’est que je t’aime, c’est que tu es ma joie et mon orgueil.
Je pense souvent avec tristesse que tu m’aimes moins, toi. Tu as suivi en cela la loi commune, trois ans de possession ont bien refroidi ton ardeur. Tu t’es habitué à me considérer comme t’appartenant à tout jamais et tu n’as plus pour moi la sollicitude d’un amant pour sa maîtresse. Tu es plein de dévouement et de générosité envers moi, mais tu n’as plus d’amour. Tu m’aimes de routine, mais tu n’as plus d’amour. Mon Dieu, quand je pense à cela je suis prête à faire les plus grandes extravagances (comme vous appelez les actes d’un pauvre cœur, confus et malheureux) mais au plus fort de mon désespoir je regarde en moi et je me calme en songeant que je t’aime de toutes les forces de mon âme et j’espère te donner ce qui te manque.
Tu ne m’écris plus jamais. C’était cependant après toi ce que j’avais de plus précieux au monde. Tu vois bien que tu ne m’aimes plus.

BnF, Mss, NAF 16326, f. 322-323
Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa
[Guimbaud]


19 avril [1836], mardi soir, 8 h.

Mon cher adoré, je sais d’avance que vous ne viendrez pas me chercher pour aller voir Lucrèce et d’avance je me résigne. Mais une chose à laquelle je ne me résignerai jamais c’est à ne plus être aimée de vous. Je sais bien que vous êtes plein de dévouement pour moi, je sais encore que vous avez de l’amitié pour moi, mais je sais aussi que vous n’avez plus d’amour et c’est à quoi je ne me résigne pas. Pendant quatre mois que je suis restée seule, la plupart du temps souffrante, j’espérais qu’il vous arriverait un jour où l’autre le besoin de me dire : courage, je t’aime. J’aurais donné mon sang pour trouver ce mot, écrit naturellement par vous, à mon réveil le matin, ou à mon chevet le soir pour me délasser. Mais j’ai attendu en vain. Ce mot là n’est pas venu et je suis restée triste et convaincue plus que jamais que vous aviez cessé de m’aimer.
Écoute, mon Victor, je sais ce que tu vas me dire : que tu travailles, que tu es occupé, que tu as bien soin de moi et ne me laisses manquer de rien. Mais, moi, je te répondrai que j’ai été autant et plus occupée que toi et que je t’ai toujours donné les marques extérieures de l’amour que j’avais au-dedans de moi. Je te dirai aussi que sans ton amour, je manque de tout, que ma vie est la plus misérable et la plus coupable si tu ne m’aimes pas. Enfin, je te dirai que si tu continues à être si raisonnablement bon et dévoué pour moi, je me soustrairai au moment où tu y penseras le moins, et pour toujours, au devoir que tu t’es imposé. Je veux de l’amour ou rien.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 324-325
Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa
[Guimbaud]

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