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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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26 mai 1847

26 mai [1847], mercredi matin, 8 h.

Bonjour, mon Toto, bonjour, du cœur et de l’âme seulement, car il m’est impossible de prononcer un seul mot sans que cette affreuse tousserie ne vienne m’étrangler et me rendre violette. Hélas ! Pourquoi cette métamorphose s’arrête-t-elle à la couleur ? Il me serait pourtant bien doux d’être fleur pour de vrai au lieu d’être une affreuse vieille femme rechignée.
Duval qui travaille depuis cinq heures du matin dans mon jardin vient de me dire que M. le curé n’a pas reçu la lettre que je t’avais chargé de mettre à la poste. Je ne suspecte pas ta probité Dieu le sait et ce malencontreux hasard est tout à fait de la faute de la poste. Quoi qu’il en soit, je vais lui écrire tout à l’heure pour lui dire à peu de chose près le contenu de cette lettre qui l’informait du retour de M. Pradier. J’écrirai aussi à Mme Luthereau. Cependant j’ai bien mal à la tête. Enfin je verrai quand j’y serai. En attendant je vais aller faire un tour dans mon jardin pour stimuler Duval.
Cher adoré, je t’aime. J’ai été bien punie hier de ne pouvoir pas parler car je t’aurais dit toutes sortes de tendresses qui m’emplissaient trop le cœur.

Juliette

MVH, α 8984
Transcription de Nicole Savy


26 mai [1847], mercredi après-midi, 1 h. ¼

Oui, va, viens-y, polisson, chercher tes dix francs. Tu verras de quel bois je me mouche. Viens prendre encore mon encrier et tu sentiras s’il fait chaud sur ton casaquin [1]. Je te conseille de faire le délicat et de trouver que je t’abîme tes manuscrits. Ils sont bien tenus tes manuscrits, je m’en fiche. Si les gribouillis qu’ils contiennent sont aussi bien peignés que leurs feuillets c’est du propre et je plains le malheureux éditeur qui les achètera. Voilà mon opinion sur vos papiers. Taisez-vous et rougissez si vous pouvez.
Je crois que c’est à cette légitime et vertueuse indignation que je dois le redoublement de strangulation que j’éprouve dans ce moment-ci. Pour peu que cela fasse encore quelque progrès j’en cracherai ma langue et mes dents sur mon papier. Tout cela c’est votre faute. Si au lieu de me tenir enfermée comme un pauvre chien vous me donniez force culottes [2] et si vous me faisiez marcher tous les jours je serais la plus heureuse et la mieux portante des femmes. Donc vous êtes un profond scélérat que je pourrais haïr si je voulais.

Juliette

MVH, α 8985
Transcription de Nicole Savy

Notes

[1Dans la langue populaire, le casaquin désigne le corps.

[2Se donner une culotte : faire ripaille, bombance.

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